L'hiver se fait vieux. Naguère encore, il tenait dignement sa partie dans le chœur des saisons, soufflant longuement son haleine froide, sortant chaque année ou presque son manteau blanc royal, jouant plusieurs fois par an les magiciens avec son tour favori : changer l'eau en glace. Mais ces derniers temps, on sent qu'il fatigue. On dirait que le cœur n'y est plus.
Cette année il s'est emmêlé les pinceaux, nous faisant bien trop tôt le coup de la neige, tel un vieillard qui pique un sprint et s'arrête aussitôt, hors d'haleine. La neige n'a pas tenu, évidemment. Ces derniers jours il se rattrape un peu, se raidit — le gel, pour lui, c'est comme la bandaison pour l'homme — au point d'effleurer laborieusement la barre du zéro degré. Nous nous emmitouflons et nous plaignons pour la forme, alors qu'on a bravement supporté bien pire jadis ; sans doute sommes-nous devenus plus fragiles, faute d'entraînement, ou vieillissant comme lui. C'est un rituel plus qu'une plainte véritable. On râle, mais en même temps on apprécie ce baroud d'honneur du vieillard. On aimerait que ça dure encore, on se dit qu'il va nous manquer, et sachant que dans les quelques années qui viennent on va le voir fondre en eau de boudin, changé peu à peu en automne aggravé, puis en printemps rachitique, je comprends à quel point lui et moi sommes liés.
Je l'ai peut-être toujours aimé, sans toujours le savoir. Il n'a jamais cessé d'être pour moi ce précieux moment de recueillement, de concentration, d'effort vers l'essentiel. Grâce à lui on travaille dur. On se disperse moins en sorties futiles. Sortir devient une brève aventure, un défi. Rentrer chez soi est une récompense. La maison ouvre les bras, les referme sur nous. Le chat, devenu casanier, nous tient chaud rien que de le voir dormir sur sa couverture.
Pour moi, depuis notre panne de chaudière il y a quelques années, la chaleur ne va plus de soi : c'est un luxe, un cadeau, un confort aussi précaire que tout le reste — en être conscient le rend plus doux encore. On en vient même à se rendre compte, par moments, qu'on est drôlement veinard d'habiter ce coin douillet de la planète.
Chanter l'été, ses joies superficielles, on a mieux à faire tout de même. Aujourd'hui par exemple, 21 janvier 2025, tout en pianotant devant l'écran, je ne cesse de tourner la tête pour contempler dehors les maisons qui s'étagent, alignées sagement, sur le coteau d'en face. C'est un petit bonheur profond. Ce que j'aime le plus dans ce paysage familier, doucement voilé de gris par la brume, c'est les maisons dont la cheminée fume, comme sur les dessins d'enfants. Ce frémissement de vie dans un décor figé par le froid, signe que ces maisons-là sont habitées, vivantes. Elles n'envoient sans doute pas de message comme les Indiens d'autrefois, mais on peut les imaginer fumant benoîtement la pipe, comme les jeunes le font de moins en moins. Je pense au délicieux petit poème de Baudelaire où c'est la pipe d'un auteur qui parle :
Je fume comme la chaumine...
La fumée des maisons les rapproche aussi des bateaux. Étranges bateaux qui ne bougeront jamais, mais ne semblent guère en souffrir : je suppose que rêver les voyages leur suffit, et de ce point de vue je me sens un peu leur cousin. En fait nous nous ressemblons, elles et moi, avec ce feu intérieur caché qui nous chauffe avant de s'achever en pensées légères, et plutôt grises, qui s'effilochent là-haut. La différence : les maisons vont, sauf accident, rester là longtemps après que moi-même et mes écritures serons partis en fumée.
J'ai entamé cette page le matin, bien sûr : c'est le moment idéal pour écrire, en hiver du moins. C'est le printemps de la journée, l'heure de la plus belle lumière. Elles sont plus courtes en hiver, les journées, donc plus intenses, contrairement à celles de juillet, indolentes et traînantes. Les matins d'hiver sont toniques et les après-midi déjà mélancoliques. Mais j'ai tardé, déjà seize heures, le soleil s'est éclipsé après une brève apparition — un soleil avec des dents, comme disent joliment les Grecs —, et déjà le fond de la lumière est sombre. On annonce pour bientôt un retour à la normale, pas l'ancienne, mais celle qui la remplace, avec une remontée du thermomètre, ce débile, et de nouvelles journées mollassonnes et humides. Comme au début de ce mois, où la pluie est tombée avec une lourdeur, un acharnement rares, pendant des jours, changeant les chemins de mes forêts en boue, puis en mares, au point de m'interdire le passage. Puisse Hiver, mon vieux maître, résister encore un peu et retarder ce triste vau-l'eau. Courage, tiens bon, papy.
![]() Comme au bon vieux temps. |
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°256 en février 2025)