SOUS LA SOUTANE


Mes parents, dans les années cinquante, virent un jour sur une plage un prêtre ôter sa soutane et apparaître... en short. Quand ils racontaient l'histoire, tout le monde riait. Un prêtre sans soutane, c'était comme un escargot sans coquille. La robe noire faisait partie de leur être, de leur corps.

Il n'y avait sûrement rien en dessous.

Les prêtres catholiques — les curés, comme disaient certains — étaient une espèce à part. Pas tout à fait des hommes. À preuve, cette absence de pantalon. Jusque dans l'adolescence, je ne pensais pas qu'ils puissent avoir des désirs comme les autres grandes personnes. Je pensais que face aux appels de la chair, la prière suffisait à les calmer. La soutane, cette cuirasse, les protégeait des assauts de Satan. M'aurait-on dit qu'ils pouvaient bander là-dessous, j'aurais eu du mal à le croire. Leur sexualité, en fait, je n'y pensais même pas. L'œuvre de chair, comme on disait, était pour moi un péché si affreux, si inconcevable, s'agissant d'un saint homme ! Moi-même, petit enfant de chœur, je tremblais lorsque le diacre psalmodiait, pendant la liturgie de saint Jean Chrysostome, le verset terrible, «Ceux qui sont liés par des désirs charnels sont indignes, Seigneur, de te servir».

Lorsqu'au catéchisme le vieux prêtre orthodoxe se moquait discrètement de ses collègues cathos, parfois flanqués, disait-il, d'une servante plus jeune qu'eux, je croyais que ces solitaires cherchaient avant tout une compagnie, un soutien moral. Les personnages de prêtres, dans les romans d'alors, étaient soumis à des tourments plus éthérés que ceux de la chair. La censure était totale. Bernanos nous cachait des choses. «Ils sont comme des anges dans le ciel», proclamait fièrement l'Église.

Les temps ont changé. Les soutanes se font rares, et les braguettes ecclésiastiques, désormais, masquent mal des renflements parfois énormes. L'omerta n'est plus de mise, on sait maintenant que les prêtres ont une bite eux aussi, que certains (combien d'entre eux, mon Dieu ?) s'en servent, de façon criminelle parfois, en agressant les enfants qu'on leur a confiés. Qui veut faire l'ange fait la bête, disait un certain Blaise Pascal il y a quelques siècles, et l'on s'aperçoit enfin qu'il parlait d'or. Quant aux autres, qui restent chastes, héroïquement, ils doivent sûrement bander à s'en faire mal.

C'est aujourd'hui seulement que je découvre ce continent inconnu : la vie cachée du clergé. Tous les prêtres que j'ai rencontrés, et les autres aussi, je les imagine désormais hantés par des images luxurieuses ; émus, au confessionnal, par un visage féminin baignant dans la pénombre derrière le grillage, par ses péchés chuchotés, ou par la frimousse radieuse et pure d'un préado du catéchisme.

Je n'ai jamais eu de tendances pédophiles, mais les prêtres bandeurs qui luttent contre eux-mêmes sont mes frères : à un moment de ma lointaine adolescence, pendant des mois, je me suis interdit la branlette. La récompense de cette folle torture : deux ou trois extases nocturnes somptueuses, avant-goût du paradis plus que de l'enfer. Ô lente, irrésistible ascension vers les cieux... Mais les prêtres, comment le vivent-ils, ce cadeau de Pan et d'Aphrodite ? Se disent-ils, Ce n'est rien, je n'y peux rien, c'est venu tout seul, ou sont-ils chavirés par un mélange nauséeux d'allégresse et de remords ? Quand ils succombent et se paluchent, est-ce grave pour eux ? Quand ils enfilent une paroissienne ? Quand ils décalottent un enfant de chœur ? Dans chacun de ces cas de figure, vont-ils se confesser ensuite ? Si oui, que leur dit-on ?

Il y a, je suppose, autant de réponses que de prêtres. On trouve parmi eux quelques monstres assurément, mais surtout une foule de malheureux. Si les récents scandales m'ont plus que jamais éloigné de la religion et dégoûté des hypocrisies diaboliques de l'Église, elles ont surtout attisé en moi un sentiment très chrétien : une compassion immense.

Et pas mal de perplexité. Comment peut-on imposer la chasteté, cette épreuve aussi cruelle qu'inutile, à ces pauvres diables, en plus du reste ? Et que penser désormais de l'abbé Pierre, cette star déchue ? Pendant des années je l'ai porté aux nues comme tout le monde ; depuis qu'on a dévoilé ses turpitudes et que chacun le met plus bas que terre, j'ai du mal à me joindre à l'armée des justiciers. Je comprends qu'il soit privé d'honneurs officiels, mais enfin, pour moi, le bien qu'il a fait demeure et ses débordements libidineux n'y changent rien. S'il fallait effacer tous ceux qui ont péché un jour... Il a commis certains actes que je condamne, mais je n'arrive pas à le condamner, lui. Là aussi, je ne cesse de me poser des questions qui resteront sans réponse : comment a-t-il vécu ce long mensonge que fut sa vie ? Dans l'assurance du petit malin qui trompe son monde et s'éclate impunément ? Ou dans la douleur de la victime de ses instincts tyranniques, que ronge la culpabilité ? L'icône de naguère, lisse et un peu fade, fait place à un personnage double, fait de lumière et d'ombre, mystérieux, terriblement humain. À un père devenu notre frère.


Pourquoi le montre-t-on toujours vieux ?
Henri Grouès, dit l'abbé Pierre.


*  *  *

(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°254 en décembre 2024)