Ébloui par la cérémonie d'ouverture des Jeux, d'ores et déjà légendaire, j'ai posté sur fesbouque un commentaire béat qui m'a valu, à ma surprise, un nombre de likes insolite (221 à ce jour), et surtout, c'est cela qui m'intéresse, une foule de commentaires d'une réjouissante variété. On voit là s'esquisser, à l'insu des contributeurs, un portrait du Français d'aujourd'hui, une radiographie de ce qu'il a dans le cerveau.
J'avais écrit :
Je ne l'ai pas regardée, ne me doutant pas de ce que ce serait. Le peu que j'en ai vu après coup m'a ravi. M'a réchauffé le cœur. C'était joyeux, astucieux, drôle. Une vraie fête !
Et plus encore. La fille d'une amie a dit que ce soir-là, pour la première fois, elle s'était sentie fière d'être Française. Je la comprends. On peut être fier de son pays quand il oublie un moment son chauvinisme, son conformisme, sa raideur. Quand il outrepasse tout un tas de frontières. Oui, c'était vraiment une cérémonie d'OUVERTURE !
J'ai beaucoup aimé ce qu'en ont dit André Markowicz sur FB le 27/7 et Edwy Plenel sur Médiapart le 1/8. Merci messieurs, une fois de plus.
Ce qui m'étonne cependant, c'est de lire en assez grand nombre, sur FB toujours, chez des gens qu'a priori j'estime, instruits, cultivés, penchant à gauche (du moins le croyais-je), des commentaires pisse-vinaigre effrayants, dignes de l'EHPAD d'une paroisse intégriste. Qu'ils sont tristes, ces gens...
Vive Dionysos !
Les 58 réactions sont en majorité favorables, on s'en doute : d'abord, la fête semble avoir séduit la plupart des Français, et surtout, j'imagine qu'on est rarement assez maso pour fréquenter ma page sans partager plus ou moins mes idées. Les commentaires sont souvent chaleureux, voire lyriques :
Évidemment, ça coule de source, le vin, la Seine, et la joie, tout simplement !
Un seul post exprime des sentiments nuancés : on a aimé une partie des festivités, mais pas tout. Les réactions négatives, elles, ne font pas dans la dentelle.
Je l'ai trouvée ennuyeuse cette fête sans inspiration, sans cohérence, sans imagination !
Soit exactement le contraire de ce qu'on pourrait reprocher à l'événement, cette débauche d'imagination. Il serait plus juste de fustiger le pur produit de l'imaginaire malade d'une bande d'ignares qui s'ignorent. Cette critique émane d'un héraut autoproclamé de la Culture ferraillant contre une smalah d'ignorants.
Certains ramènent le débat à leurs obsessions personnelles. Une vigneronne s'indigne longuement devant le fameux banquet de Dionysos : Ce tableau était déplacé pour représenter les arts de la table et notre viticulture agonisante. Elle y voit vacuité, futilité et perte de contact avec les préoccupations de la population. Une population passionnée par le pinard ? D'autres sont choqués par l'allusion à l'EHPAD intégriste, comme si j'avais craché sur l'ensemble des vieillards, alors que je me borne à suggérer deux choses : le grand âge s'accompagne assez souvent d'un déclin des facultés cognitives, et l'intégrisme ne brille pas par la souplesse neuronale. Disons même qu'il est sénile par essence.
Pour le reste, on pêche dans certains commentaires les éléments de langage, comme on dit, de la droite extrême, serinés ici comme ailleurs avec une fraîcheur de perroquet sénile :
Catéchisme bobo... pour égayer quelques bobos dégénérés du Marais... bobos révolutionnaires de salon, cancelcultureux, wokistes etc...
Boomer 68ard à la con...
Ce doit être un jeune, celui-là. Un jeune qui me lit, hourra !
Tu es bien une crasse de gauche gros tas de merde...
Ça, c'est du lourd. Ça sent le FN à plein nez. On serait encore à l'école primaire, on pourrait sortir la réplique rituelle, C'est çui qui l'dit qui y est. Curieux, cette tendance à projeter sur l'autre ce qu'on est obscurément conscient d'être.
Je repense au jour où parlant en public, j'ai entendu depuis l'estrade un beuglement au fond de la salle, «QUEL CON !!!» J'avais qualifié de boucherie la traduction de Cavàfis par Yourcenar. Quoi de plus incontestable ? Le public a ri, moi aussi. Ce genre d'insulte ne fait pas mal, à moi du moins. Pour me blesser, pas besoin de rouleau compresseur, certains mots bien choisis, dits d'un ton doux, suffisent. Ils pourraient même me détruire. Je ne dirai pas ici lesquels.
Les critiques violentes, en fait, ont de quoi flatter. Elles sont l'apanage des stars, dont les succès allument la jalousie. Qui va s'acharner sur un pauvre petit bonhomme ? Les propos fielleux qui grouillent dans mon dos, sans doute, dans nos petits cercles traduisants, ne se déversent pas dans la sphère publique. Si un jour on attaque mon travail dans la presse, c'est que j'aurai franchi un seuil. Qu'un critique m'aura lu ! Que mes poètes grecs intéressent quelqu'un !
Bien planqué... |
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°252 en octobre 2024)