DANGER DU BONHEUR


Danger d'être comblé sur tous les plans — heureusement que ça n'arrive jamais. Si tout allait bien, s'il n'y avait plus de chagrin précis, d'angoisse motivée, de frustration tangible pour nous occuper, nous protéger, faire écran, nous serions confrontés au grand vide, celui qu'on entrevoit parfois, à l'humeur noire qui en émane, sournoise et dévastatrice entre toutes, qui n'étant liée à aucun objet va se glisser partout comme un gaz.

Garder toujours un souci de réserve, un os de malheur à grignoter. Arrimer le vague à l'âme quelque part, qu'il n'aille pas valdinguer en nous et tout casser comme un chargement fou dans une soute.

(Journal infime, 2000)



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°46 en juillet 2007)