L'été dernier, À travers le miroir. Cet été, Persona. Tous deux tournés par Bergman sur son île de Farö dans les années 60. Deux de ses films les plus tendus, les plus sombres, deux de mes plus lumineux souvenirs de cinéma. Jamais revus.
Abordé sur l'île avec le trac. Eh bien non seulement les deux films tiennent le choc, mais ils m'apparaissent encore plus beaux, plus jeunes. Je suis sans doute moins bluffé qu'à l'époque par le bric-à-brac du prologue dans Persona, où j'ai l'impression que le metteur en scène, de façon géniale, fait tout de même un peu son malin. Le reste : prodigieux. La scène de nuit dans Persona, entre extase et horreur, où Liv Ullmann s'approche du lit de Bibi Andersson endormie, est d'une beauté non terrestre. Le noir et blanc, aujourd'hui rare, étrange, qui change les personnages des vieux films en fantômes, rend la scène encore plus troublante qu'alors.
Ce que je n'avais pas bien vu à l'époque, c'est la fidélité de ce cinéma — éternellement d'avant-garde par ailleurs — aux racines de son art, à l'époque fabuleuse du muet. Le côté bricolage : on peut faire le plus beau des films en décors naturels, avec une équipe réduite et deux ou trois acteurs. Une caméra tranquille, des plans longs et simples, des gros plans à l'ancienne. Le noir et blanc juste avant l'invasion de la couleur, dans sa splendeur ultime, incandescent. Pureté, dépouillement absolus. Tout droit vers l'essentiel. Combien de nos gentils films récents soutiendraient la comparaison ? Si anodins, pour la plupart — même et surtout les plus gesticulants, caméra excitée, montage hystérique.
Je suis sévère sans doute. Il existe sûrement, aujourd'hui encore, un cinéma audacieux, inventif. C'est moi qui ne sais plus le voir, atteint que je suis de presbytie intellectuelle, comme tous les esprits déclinants.
(Journal infime, 2002)
Alma : Je voudrais être comme toi... |
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°24 en août 2005)