Lorsque j'ai vu en plein cours, il y a trois ans, la jeune Vanina baisser un peu son falzar devant pour montrer à sa voisine le petit nœud rose ornant sa culotte, j'ai été surpris. Aujourd'hui je le serais moins. Le monde change. La culotte des filles se cachait ; seules quelques souillons, quelques garçons manqués la laissaient parfois dépasser par négligence. À présent elle met le nez dehors, le phénomène fait tache d'huile et cela m'intrigue.
Expliquer cette mutation par la conjonction de deux phénomènes : pantalon trop large et pull trop court, serait d'un esprit superficiel. Allons plus loin. Les phénomènes les plus infimes ont eux aussi des racines profondes. J'étais d'abord tenté, naïvement, de voir dans cette ostension un moyen d'exciter le désir, mais non, fausse piste. C'est le mystère qui érotise la culotte ; l'exhiber lui ôte une part de sa magie, lui impose un nouveau statut de vêtement amphibie, mi-dessous, mi-dessus. (Même le string, laissant la peau des hanches à l'air sous ses hautes arches, fait sourire plus que saliver.)
Non, il faut plutôt voir là une saine absence de pruderie, et aussi un sens délicat de la mesure, tant cette menue transgression me paraît codifiée, finement dosée. J'ai remarqué notamment l'absence du blanc — cette couleur au dépouillement aveuglant, sans doute la plus troublante, la plus nue sous ses dehors sainte-nitouche. Ceux qui mettent les mariées en blanc savent ce qu'ils font, petits vicelards. (Quoi de plus obscène qu'un pommier en fleurs ?) Tandis qu'au lycée jeunes ventres plats et reins cambrés s'habillent d'un joyeux arc-en-ciel, d'une débauche de couleurs tantôt délicatement assorties aux dessus, tantôt non, comme pour laisser croire que si l'on montre, c'est sans le faire exprès. Négligence affectée, raffinements cachés.
Autre motif de se réjouir : ces dessous devinés sont simples. Pas de dentelles, de transparences, de troutrous. J'espère qu'il en va de même les soirs de sortie ; que ces demoiselles ont compris, sans qu'il soit besoin de leur faire un cours, combien la lingerie dite «de charme» est impossible à porter. On s'y retrouve en concurrence avec les filles de rêve des magazines ; et surtout, on impose au partenaire une épreuve cruelle. Quelle douche froide au toucher ! Le satin glacé, la dentelle râpeuse repoussent les doigts. Petit-Bateau, nid bien chaud, tu es le plus doux des paradis.
À défaut de m'affrioler, ce demi-centimètre d'étoffe suscite ma gratitude. Cette parcelle d'intimité qu'on me livre, je choisis d'y voir une marque de confiance. Comme de se balader en pyjama devant un vieil ami de la famille. Ce cadeau est à l'érotisme ce qu'un gros bisou de petite fille est au palot de compétition.
Comment les filles elles-mêmes voient la question ? Je ne prévois pas de les interroger, encore moins de leur montrer ces lignes ; d'abord je ne suis pas fier de moi ; ce sujet, en fin de compte, me dépasse. On ne s'improvise pas slipologue. L'étude savante dont je rêvais, à peine effleurée, me glisse entre les doigts. J'espère seulement que d'autres chercheurs pousseront la recherche plus à fond.
Ce qui contribue à me décourager, c'est l'absence de mots dignes de la chose. Slip est rapide, fonctionnel, claquant comme un élastique, autant dire qu'il lui manque l'essentiel : douceur, chaleur, abandon. Culotte, ferme et gaillard, finale rigolote, manque de finesse, de tendresse. Petite culotte, qui tente d'alléger les choses par le titillement excité des [t] ? De l'égrillard à bon marché, du toc. Dessous, mot susurré, soyeux, ferait bien l'affaire, s'il ne désignait tout un ensemble... Alors quoi ? Le français me lâche soudain, comme l'élastoche d'un vieux calecif ?
(Journal infime, 2002)
Ado de dos. |
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°22 en juin 2005)