17 OCTOBRE 1961


Quarante ans après, ça y est : le 17 octobre 1961 existe. Les esprits honnêtes reconnaissent les faits, la presse n'a plus peur d'en parler, on a même posé une plaque sur l'un des lieux du massacre des Algériens. Je pourrais me détendre un peu. Non, pas encore. Il faudrait d'abord qu'un héritier du gaullisme, pourquoi pas l'actuel président, batte publiquement la coulpe d'une droite aux mains sanglantes. Que l'un au moins des bourreaux en képi, du fond de son impunité, élève la voix pour dire son remords. Pour les racheter, un seul suffirait ! Mais non. Tous muets, tous complices. Je les imagine, cachés parmi nous, désormais grands-pères, entre soixante et quatre-vingt-quinze ans. Certains vaguement honteux tout de même. D'autres jugeant sans doute qu'on aurait dû tous les tuer, les ratons. La plupart continuant de ne rien penser.

Réécouté sur une cassette ce que j'ai écrit là-dessus voilà deux ans. Le seul passage de moi que j'aie ressenti le besoin d'enregistrer. Celui, peut-être, à quoi je tiens le plus. Je vois ce qu'on pourrait me reprocher : cette fixation sénile sur un vieux crime parmi tant d'autres, quand l'actualité offre une matière non moins riche. Désolé. Je fais ce que je peux. Avoir été conscient un jour, c'est mieux que rien : sans cette plaie mal refermée, ne serais-je pas encore moins sensible aux horreurs d'aujourd'hui ?


(Journal infime, 2001)


La bataille de Paris, 17 octobre 1961, Jean-Luc Einaudi, Seuil. Meurtres pour mémoire, Didier Daeninckx, Gallimard.
À lire... absolument.


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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°14 en octobre 2004)