«Comme s'il y avait à tout moment, quelque part, une hôtesse de l'air pour me voir, du haut de ses trente ans triomphants.»
Lourd, «il y avait». Lourde, la rime intérieure en -ar. Mauvais tout ça, mauvais.
C'était la dernière phrase de mon histoire de métro, dans Transports solitaires. J'ai peiné dessus jusqu'à la dernière seconde. Et soudain, au moment de renvoyer les épreuves, le déclic :
«Comme si à tout moment, quelque part, une hôtesse de l'air me suivait des yeux, du haut de ses trente ans triomphants.»
Cette fois, la cadence y était. Mission accomplie.
De toutes les phrases que j'ai écrites, c'est la seule qui me satisfasse pleinement. La seule que je sache par cœur.
Je me rappelle une mauvaise nuit à V***, le sommeil enfui ; cherchant une pensée consolante, j'ai invoqué ma phrase, l'ai déroulée dix fois, vingt fois, comme d'autres les ave maria, et peu à peu l'angoisse bercée s'endormait. Non, je n'étais pas perdu, un jour une déesse d'en haut poserait les yeux sur moi, et dans l'attente il me restait la joie d'écrire, d'avoir écrit ça qui serait bientôt publié, ce talisman, ce bloc de mots lourd et lisse comme un galet que je serrais dans mon poing et qui me rendait peu à peu l'énergie, la chaleur que j'avais mises en lui.
(Journal infime, 2002)
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°13 en septembre 2004)