NABOKOV TROP GÉNIAL


Ada de Nabokov : pour lecteurs virtuoses.

Précédée par un concert de cris au chef-d'œuvre, par la lecture d'autres livres du même auteur en guise d'échauffement, accompagnée de coups d'œil dans l'héroïque traduction française, l'exploration est impressionnante comme une marche en forêt vierge. Ada est d'une luxuriance inégalée. L'auteur connaît un tas de langues et tient à le faire savoir, il a tout lu, tout compris, comme ses deux jeunes surdoués de héros ; et surtout, qu'est-ce qu'il écrit bien ! Sur des centaines de pages, ça pétille, ça déborde. Quelle grâce mousseuse ! quelle légèreté ! Des tonnes de légèreté. Tout cela est si inexorablement génial qu'on se sent accablé, de trop. Si au moins il se passait quelque chose, pour nous distraire...

Je suis nul. J'ai mis des jours à trouver la clef. C'est pourtant clair ! Ada, comme disent les scientifiques, est un objet fractal : où qu'on le casse, on voit dans la fracture l'image de l'objet entier. Toute page du livre contient tout le livre. Ce Nabokov ! What a man ! Quel homme ! Kakoï tchelovek ! Conséquence : la lecture in extenso serait ici un pléonasme, un impair de plouc. Je me suis donc arrêté peu après le début, à la page 200.

(Un peu lourde aussi, mon ironie... Est-ce de l'agacement à l'égard de l'homme Nabokov, dont le manque d'humilité, pourtant, poussé à de tels sommets, touche au sublime ? Ou plutôt ne serais-je pas jaloux, férocement, de ces deux si jeunes gens qui s'aiment par le cœur et le corps, alors que j'en fus à leur âge si interminablement privé ?)


(Journal infime, 1999)



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°11 en juillet 2004)