RENAUD CAMUS LE MASO


Répertoire des délicatesses du français contemporain, de Renaud Camus. J'espérais trouver un concurrent pour mon Verbier, mais non : négligeant les œuvres de ses confrères, qui ne lui inspirent nulle tendresse apparente, l'auteur ne s'intéresse qu'au français des médias et de la rue. Il le fait de façon rigide, normative, négative, pédante et ronchonnante, avec un mépris souverain pour tous ceux qui ne causent pas comme lui. Sa diatribe exhale une infinie tristesse : le français fout le camp, tout fout le camp, Renaud Camus est aussi seul que Roland sonnant du cor.

Le plus sinistre dans l'histoire, c'est de penser à ce que fut cet homme-là jadis, à ses Chroniques achriennes par exemple, où il apparaissait rayonnant et fier, brandissant son homosexualité, niquant gaiement les interdits. (Un peu pharisien, à vrai dire, dans son dédain de l'hétéro.) Et aujourd'hui voilà le bandeur solaire changé en vieux ratatiné.

Mais pourquoi s'énerver ? Personne n'a défendu ce bouquin, en a-t-on seulement parlé ? C'est le Journal du même qui a capté l'attention, à cause de quelques lignes puantes sur les Juifs. Or c'est en lisant le Répertoire... qu'on trouve la clef du scandale : non, ce type n'est pas virulemment raciste, il ne veut sûrement pas qu'on tue des Juifs, et peut-être pas qu'on leur pique leur boulot. Il n'aime pas les autres, c'est tout — surtout ceux qui ne lui ressemblent pas. Il est en même temps obnubilé par la peur de passer pour sympa — c'est à dire, selon lui, démagogue, laxiste, faible. S'il s'est collé un masque de raciste, c'est d'abord pour qu'on le déteste. Il nous tend des verges pour le battre... La peur de l'autre prend parfois de ces formes tordues. D'où cette haine affichée pour les jeunes, et ceux qui s'en occupent : les profs. Ô paradoxe ! Comme si une partie de ceux-ci n'étaient pas, dans la défense du français académique, ses alliés les plus sûrs. Renaud Camus, l'apothéose du masochisme et de la confusion.

Mon agacement est hypocrite. Je ferais mieux de m'avouer à quel point j'ai jubilé en dévorant son pensum, tant cette caricature sert de repoussoir au Verbier. Tant ce vinaigre lui donne un goût de miel.

Mon but à moi n'est pas d'exclure à grands coups de gueule, mais d'accueillir, de récupérer tout ce qui peut l'être, en patient chiffonnier de la langue. D'ouvrir les discours figés dans leur pureté à l'aventure des mélanges, des croisements.


(Journal infime, 2000)



*  *  *

(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°10 en juin 2004)