Tiens, revoilà les Kinks ! Vu à la FNAC leurs œuvres complètes, cinq CD, un luxueux coffret. Eux dont j'étais sans nouvelles depuis trois décennies, que je croyais disparus dans les poubelles du Temps. Je les aimais bien, les Kinks, dans le genre petits cousins des Beatles. Des gars gentils, un peu trop peut-être, plutôt petite bière que LSD. What's the English for minimaliste ? Je suis rentré avec leur best of sous le bras, ai sorti du papier cadeau le walkman offert par mes élèves — je l'inaugure ainsi — et mis ma chanson bien-aimée d'alors : «Dandy»...
Et ça repart. Comme si tu retrouvais la mob de tes seize ans dans l'appentis au fond du jardin et elle démarre au quart de tour. Rien n'a changé : cette élégance un peu canaille, la voix du chanteur nonchalante, ombrée d'un léger rhume, traversée d'un sourire moqueur — peut-être un poil plus éraillée qu'avant ? Mais il y a du nouveau : maintenant je comprends les paroles, presque toutes ! Jubilation ! Pentecôte ! Le chanteur s'adresse à un copain, le dandy, un chaud lapin... chasing all the girls... they can't resist your smile... a bachelor you will stay... you will always be free... on ne sait quel sentiment domine, ironie, admiration... and you're all right ! all right ! et bien que cette histoire ne me ressemble en rien (à part l'allusion à l'avenir, when you're old and grey), soudain c'est à moi qu'on s'adresse, Alors mec, on nous croyait morts ? On dirait que les mots cachent un message, un secret, écoute ! écoute ! On a la petite phrase de Vinteuil qu'on peut. Je me mets à écrire là-dessus sans savoir où ça va mener, pensant trouver mon chemin en route. Je réécoute «Dandy» des tas de fois. Tantôt à la file, tantôt après un long silence, ou au contraire après des musiques plus savantes. Rien à faire. Ça n'en dit guère plus. Le même ton gentiment narquois, On t'a aidé mon petit père, maintenant démerde-toi. À force, tout se brouille. J'arrête. Je referai une tentative dans trente ans.
Ma vie est pleine de ces signes infimes : une main non pas tendue, ce serait trop, mais agitée de loin, un possible clin d'œil, c'est déjà bien beau. Une trouée bleue dans un ciel gris. Thank you les Kinks.
(Journal infime, 1999)
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°7 en mars 2004)