LE BON VIEUX TEMPS


«...l'avènement d'une société barbelée d'égoïsme et de haine, affamée de toutes les laideurs... le massacre de la beauté et de la liberté se poursuivant avec des moyens sans cesse en progrès...»

C'est de nous qu'il s'agit. Le texte date de cette année. Mais en cherchant bien on retrouverait ce discours en tous lieux, à toutes époques — sauf où et quand on ne peut dire ce qu'on pense, et que tout va donc vraiment mal. Jean-Pierre Sicre, qui a écrit ça, et Bertrand Poirot-Delpech dont j'ai lu aujourd'hui dans le journal, par désœuvrement, les aigres ruminations, ne font que poser leurs lèvres dans l'embouchure, chaude encore et baveuse, des trompettes funèbres perpétuelles. À leur mort ils les passeront à d'autres lugubres sonneurs. C'est l'éternelle rengaine de la décadence, qui prouve moins le mauvais état du monde que celui de ses vieux contempteurs bougons.

Hier, on rasait gratis. Aujourd'hui, le barbier nous coupe la gorge. Demain y aura plus personne.

Comme je les plains. Comme ils sont malheureux. À moins qu'au contraire la déploration soit pour eux la source du bonheur, qu'ils y barbotent comme poissons dans l'eau boueuse, qu'ils aient besoin de ce fond ténébreux pour que s'y grave avec plus d'éclat leur profil de dernier mohican, d'ultime rempart des Valeurs du Bon Vieux Temps.


(Journal infime, 2000)



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°7 en mars 2004)