Joie longtemps attendue : lire l'Histoire amoureuse des Gaules, de Bussy-Rabutin. À cause de l'auteur, cet homme libre, qui a toute ma sympathie, comme chacun de ceux qui déplurent à ce vieux dindon de Louis XIV. Et à cause du sujet bien sûr. De ce raffinement de la pensée et de l'écriture qui marqua ce siècle-là, au début surtout.
Et voilà, j'ai calé en route. Non que je n'aie pas trouvé ce que j'attendais. Au contraire : c'était trop raffiné. Il me fallait trop d'efforts pour décrypter ces traits que j'eusse dû saisir d'un coup — leur subtilité doit rester vive et naturelle, faute de quoi tout s'effondre. Ces longues phrases admirablement articulées, équilibrées, que je ne pourrais imiter qu'à grand-peine, me resteront toujours étrangères. Trop courts, mon souffle et ma pensée. Je me suis senti lourdaud, rejeté, humilié. J'ai compris ce qu'a dû être la ségrégation sociale en ce temps-là. Comme si, me voyant peiner sur sa prose, l'auteur avait lâché sans me regarder ni hausser le ton, Monsieur, vous n'êtes pas des nôtres...
(Journal infime, 1999)
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°3 en novembre 2003)