SOURDS


Mon auteur s'appelle, mettons : Παλούχης, ce qui donne, écrit en caractères latins, Pa...lou...

...et après je fais comment ? Le χ grec, ici, se prononce à peu de chose près comme le ch- allemand dans ich. La graphie française officielle... il n'y en a pas. Les tenants de la tradition servent au lecteur un Palouchis dont on devine la façon chuintante et moche dont il sera prononcé : très loin de l'original. (Le son [ch], en grec, est inconnu.)

Pour qui veut faire entendre les noms au plus près de leur vraie sonorité — comment diable pourrait-on ne pas le vouloir ? —, Paloukhis est une solution possible. Elle a le léger inconvénient d'alourdir la graphie avec ses deux lettres, et d'ajouter avec son k une touche de rudesse balkanique, parfois bienvenue, mais pas toujours.

D'où deux autres solutions, avec une seule lettre :

Paloukis, phonétiquement moins bon que Paloukhis, mais meilleur que le lamentable Palouchis ;

Palouhis (et mieux encore, avec l'accent tonique : Paloùhis), mon préféré, pas idéal non plus, mais discret en même temps qu'efficace. Le [ouhi] avec h aspiré que prononcera, dans le pire des cas, le lecteur français, est un moindre mal à côté de ce qu'on vient d'entendre.

Préférer Palouhis ne veut pas dire qu'on adoptera le h à tous les coups. Traduisant le grand Taktsis, dont le nom s'écrit en grec avec un χ, Jacques Lacarrière a choisi le k et j'aurais fait de même : Takhtsis est trop chargé avec son paquet de trois consonnes au milieu et Tahtsis risquerait de se prononcer Tatsis, alors que le simple Taktsis reste proche de l'original. Tout dépend donc de ce qui, en grec, suit le fameux χ : une voyelle ou une consonne.

Je sais, j'ai déjà évoqué le problème dans mon Babel & blabla (éditions publie.net). Cette redite pour exprimer la permanence de ma douleur. Depuis vingt-cinq ans que je suis dans le métier, on n'a pas avancé d'un poil. Les autres traducteurs français font la sourde oreille et palouchisent à qui mieux mieux. Je demeure l'oiseau rare, l'hurluberlu, le maniaque solitaire.

Quant aux auteurs grecs, certains n'ont toujours pas compris le problème.

Il vient de m'écrire, le Paloùhis, pour m'annoncer qu'il insiste pour s'appeler Palouchis en français. Motif : il lui faut absolument une orthographe unique pour que les moteurs de recherche le retrouvent ; or les Anglais, tirant les premiers, lui ont déjà collé un ch. (J'imagine le résultat : quelque chose comme pe'loutchiss, voire pe'laoutchiss.)

Une chose crève les yeux — et les oreilles surtout : cette internationalisation de la graphie est une pure foutaise. Pas besoin d'être nationaliste pour reconnaître l'évidence : chaque langue transcrit à sa façon. Si nous écrivions Chostakovitch comme les Anglo-Saxons : Shostakovich, nous en ferions un -koviche, et si eux l'orthographiaient comme nous, ils auraient sur les bras un tchosta-. Quant à Pouchkine / Pushkin, j'ose à peine exhiber ici ces deux monstres, paoutchkaïn et puchequin...

Sacrifier, comme ce pauvre Paloùhis, son nom à un très aléatoire surcroît de renommée, ça la fout mal, non ? C'est ce qui s'appelle, selon moi, vendre son âme.

J'ai cédé cette fois-ci. J'avais déjà cédé à d'autres naguère. Il est tout de même délicat d'imposer à quelqu'un son nom... J'avoue que dans le cas présent je ne me suis pas fait violence. Tu l'as voulu, mon vieux Paloùhis, tu l'auras ! Tu t'es puni toi-même. Je me lave les mains de ton ridicule.



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°73 en octobre 2009)