ALLER VITE


Aller vite : mon obsession.

Une traduction médiocre, c'est d'abord cette impression plus ou moins diffuse de mollesse, de corde détendue, de voile qui faseye. Relire, c'est d'abord couper, resserrer. Tendre la corde jusqu'à trouver le la.

Quand on lit une traduction de l'anglais, on peut la trouver très bonne. Quand on la compare à l'original, quel que soit le talent du traducteur, il est rare qu'on ne soit pas accablé. Sur ce plan de la concision, de la nervosité, du swing, l'anglais est la reine des langues et le français traîne derrière en s'essoufflant. Voilà pourquoi je ne traduis pas de l'anglais. Il y a chez le français qui s'attaque à l'anglais une divine inconscience, une folie héroïque, prométhéenne qui me laissent pantelant d'admiration.


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La proie que je poursuis, ce texte étranger, se faufile dans tous les raccourcis que sa langue lui offre, et où le plus souvent je ne peux le suivre ; si je veux vraiment le rattraper, je peux et je dois passer par tous mes raccourcis à moi, ceux que permet ma propre langue, et que lui n'a pu prendre car sa langue le lui interdit. Sinon, mes phrases ne seront plus qu'une addition de lenteurs.

Cette solution plus vive, plus élégante que l'original, est-elle un embellissement illicite, une trahison ? Sans doute pas, s'il s'avère que dans l'autre langue elle n'est pas possible.


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Françoise Cartano, traductrice :

«Quand je reprends une traduction ancienne, la nouvelle mouture est toujours plus courte.»


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«Sorry if I get a little homeric at times. That's genetic too.»

Jeffrey Eugenides, Middlesex.

Traduction officielle :

«Pardon s'il m'arrive parfois de me laisser aller à ces accents homériques. Ça aussi, c'est génétique.»

Voilà le type même de la traduction désuète, qui au lieu de lutter avec l'anglais sur le terrain de la vitesse, renchérit encore, par ses délayages, sur la lenteur naturelle du français. D'autant que cette rime en «-ique» ne ramène pas la légèreté... Serait-ce vraiment surtraduire que d'écrire simplement : «Pardon si je me prends parfois pour Homère» ?



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°61 en octobre 2008)