Lutter de vitesse avec l'anglais ? Le combat est perdu d'avance, nous le savons tous, mais ce n'est pas une raison pour baisser les bras — au contraire.
Voici ce que je lis dans deux traductions récentes, pas mauvaises dans l'ensemble :
«I won.»
«C'est moi qui ai gagné.»
Traduction très précise. Le traducteur connaît l'anglais, il applique une recette basique. Mais faut-il toujours l'appliquer ? On fait de bonnes photos avec un appareil automatique, et de meilleures encore si l'on sait quand désactiver le système.
Ce «I won»-là vient après un long paragraphe. Seul sur sa ligne. Il faut avant tout lui laisser sa brièveté en coup de poing. Quelque chose comme : «J'ai gagné.» Solution plus plate sur le plan sémantique, qu'on pourrait presque qualifier d'inexacte, mais ici c'est le mouvement qui compte, le contraste, la surprise, l'effet Et vlan.
«My own father came out of the sea and went back that way.»
«Le mien est sorti de la mer et s'en est allé par le même chemin.»
L'énoncé anglais, plein de monosyllabes, est bref, tendu, équilibré (came out... went back... deux fois le même schéma rythmique, effet de symétrie). Le français ici démissionne carrément, d'autant que le ventre mou de la phrase est à l'endroit le plus voyant — à la fin. Pourquoi pas «puis il y est retourné» ?
«But this was different.»
«Mais ce qu'elle avait sous les yeux était différent.»
Traditionnels, ces délayages, d'accord ; mais pas plus excusables pour autant.
«Mais cette fois c'était différent.» Pourquoi se casser la tête ?
«She turned and ran.»
«Elle fit volte-face et se mit à courir.»
Là, je suis prêt à sacrifier le mouvement tournant au profit de l'essentiel — la vitesse de ce départ :
«Elle partit en courant.»
«It only stopped raining the next day and by then the bones had gone.»
«Il plut jusqu'au lendemain, et quand la pluie cessa, les os avaient disparu.»
Trois syllabes de plus qu'en anglais, et une impression de mollesse diffuse.
«Le lendemain, quand la pluie cessa, les os n'y étaient plus.»
Trois syllabes de moins qu'en anglais ! Manque-t-il quelque chose ?
«With fear or punishment».
«Avec un sentiment de peur ou l'envie de punir.»
La bonne vieille traduction explicative pour version d'agreg.
Je recule devant le mot-à-mot intégral, mais pourquoi pas «pour se faire peur ou pour punir» ? Le texte sera déformé, sans doute, mais je crois que l'ajout (l'envie d'avoir peur) va dans le sens du texte, l'attitude en question étant qualifiée ailleurs de «morbide».
Il me vient une mauvaise pensée. Les traducteurs étant payés au feuillet, ou du moins au nombre de signes, n'ont-ils pas plutôt intérêt à... ?
Mais qu'allais-je raconter là ? Que diraient mes consoeurs et confrères, s'il en est qui me lisent ?
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°37 en octobre 2006)