Quand on traduit de la poésie et que les maisons d'édition en place vous ignorent, que faire, sinon créer sa propre maisonnette ? Le Miel des anges est l'enfant de la nécessité. Devenir éditeur ne m'a jamais fait rêver — ce qui ne m'empêche pas d'apprécier à l'usage les bons côtés de l'aventure.
La liberté d'abord. Celle de choisir les textes, naturellement — ce qui compte avant tout —, et le moment de les publier, mais aussi l'aspect du livre. Le choix du format, du papier, de la typo, choix plus ou moins réfléchi, intuitif en partie chez certains dont je suis, est l'amorce d'un dialogue avec le lecteur : il lui communique une certaine vision de la poésie et de sa transmission.
Le format des livres du Miel des anges, un A5 basique (148X210 mm) est un emprunt à celui de feu mes Cahiers grecs, publiés chez Desmos autrefois, lequel reprenait celui de mes tout premiers Cahiers, faits à la maison : de simples feuilles A4 photocopiées et pliées en deux à la main. Il y avait là le désir d'installer une continuité entre toutes mes tentatives. Un grand format serait prétentieux et encombrant ; un petit saucissonnerait le texte ; un volume en hauteur, comme les Cahiers du confluent d'Yves Bergeret jadis, ne manque pas d'élégance, tandis que des pages larges nous évitent de couper les vers longs, mais notre A5 passe-partout me convient aussi par son côté simple et familier. J'y vois une façon de dire, la poésie n'est pas une terre étrangère, exotique, avec elle on se sent chez soi.
Nous avons laissé à l'imprimeur, l'ami Pànos Davìas, le soin de choisir le papier, ni trop fin (ma seule exigence : qu'on ne voie pas le verso au travers) ni épais (c'est plus cher et plus lourd, alors que la poste fait déjà tout pour nous ruiner). Quant au caractère, j'avais choisi pour les Cahiers grecs le très populaire Arial, simple et familier lui aussi, que j'utilise toujours sur l'ordi et par conséquent ici même, au point qu'il est devenu mon écriture à moi, plus encore que mon écriture manuelle. Mais ce pauvre Arial, victime de son succès planétaire, est plutôt mal vu des connaisseurs, on le juge trop cheap, et l'on m'a convaincu d'adopter un Garamond presque aussi courant, mais un brin plus souple et raffiné.
L'essentiel dans l'habillage, c'est la couverture. Les éditeurs de poésie, le plus souvent, privilégient la sobriété : une couleur unie, de préférence un crème léger, à savoir une quasi-absence de couleur. Le nom du traducteur n'est pas oublié. Dans le travail de la concurrence, je me plais à saluer de fort belles choses. Quant au Miel des anges, s'il met en bonne place le nom du traducteur, en lettres lisibles qui plus est, il prend quant au reste le parti opposé. Toutes les couleurs de l'arc-en-ciel y paradent, même les plus vives, composant un joyeux bouquet. La couleur est toujours différente, et assortie à l'image que le traducteur-éditeur se fait de l'auteur en question. L'érotisme flamboyant d'Embirìkos, en trois volumes, est annoncé par trois nuances de rouge, Ganas qui tutoie la nature s'habille en vert, et je ne vois pas Sefèris et son amertume autrement qu'en gris bleu.
Une bonne partie de nos couvertures est occupée par la photo de l'auteur, ce que certains puristes doivent juger anecdotique et tape-à-l'œil. Pourquoi montrer ce visage ? D'abord, tout comme la couleur, l'illustration cherche à donner de l'œuvre une image moins austère et intimidante, ce qui n'est pas inutile dans le cas de la poésie surtout ; en l'incarnant dans un visage on s'efforce de l'humaniser, de ne pas en faire une parole divine (ce qu'elle est parfois sans doute), mais un balbutiement humain appelant notre écoute fraternelle. Sans compter que le visage de l'écrivain — qui lui ressemble, car notre visage est notre œuvre, en grande partie —, est une première introduction à ce qu'on va lire, annonçant elle aussi la couleur.
Je voudrais montrer le regard, en très gros plan, mais je ne suis pas seul à choisir les cadrages, et il est vrai que certains fronts, certaines bouches ou certains mentons sont trop parlants pour qu'on les cache. Les images, souvent glanées sur Internet, rarement assez nettes, ne se prêtent guère à l'agrandissement, et ma compagne graphiste a horreur des images floues. Je n'ai rien pour ma part contre le granuleux, du moment que cet apparent défaut exprime quelque chose : j'aime, par exemple, sur la couv de notre Karyotàkis, le poète qui nous regarde depuis l'autre côté, dans une brume, comme près de disparaître.
Que pensent nos amis, nos lecteurs, de ce choix ? Aucune idée. Comment déterminer le degré de sincérité des compliments ? Quant à l'efficacité commerciale de nos couvertures flashy, comment savoir combien de lecteurs en plus ou en moins nous apporteraient des couvertures dignement classiques ? L'important dans notre cas, de toute façon, ce ne sont pas les maigres sous, mais une autre richesse plus rare : le sentiment d'avoir fait ce dont on avait rêvé.
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°237 en juin 2023)