LE MENTON ET LA FOUCHETTE


Ο ήλιος ο ηλιάτορας, ο πετροπαιχνιδιάτορας,

από την άκρη των ακρώ, κατηφοράει στο Ταίναρο.

Φωτιά ναι το πηγούνι του, χρυσάφι το πηρούνι του.


O ìlios o iliàtoras, o petropekhnidiàtoras

apo thn àkri ton akro, katiforaï so Tènaro.

Fotia nè to pigoùni tou, krisàfi to piroùni tou.


Rude épreuve...

Deux mots composés néologiques dans le premier vers, et un jeu sonore très voyant sur deux mots dans le troisième. Le sens :


Le soleil qui ensoleille tout souverainement, le qui-joue-avec-les-pierres

depuis le bout des bouts, descend vers le cap Ténare.

De feu est son menton, d'or est sa fourchette.


J'ai traduit ces trois vers deux fois, sans le faire exprès. Je ne sais plus quelle version a précédé l'autre.

La difficulté vient de ce que je m'astreins à conserver le mètre, les rimes très riches, au bord du gag, tout en conservant l'image assez obscure du v.3. Comment comprendre cette histoire de menton et de fourchette ? Ce qui est sûr, c'est que les deux mots-là ont été choisis pour se faire écho, et que rebond joueur est aussi important que le sens étroit des mots. Il faudra donc le rendre, faute de mieux, par une rime intérieure.

Le menton du soleil : sa barbe sans doute. La fourchette ? Les rayons solaires qui nous harponnent ? Poséidon pourrait-il lui prêter son trident ? L'image serait plus claire, plus noble, mais le poète a-t-il voulu cette majesté ? N'a-t-il pas souhaité plutôt une notation plus familière, plus drôle avec son côté incongru ?



Souverain sur toute la terre, le Soleil joue avec les pierres.

Venu du bout du monde en gloire, il descend vers le cap Ténare

et de feu sa figure est faite, d'or son couteau et sa fourchette.


Soleil ensoleilleur, dans les pierres joueur

du fond de tout là-haut, il descend vers les eaux.

Son menton est ardent et d'or est son trident.


Les octosyllabes de la première version traînent un peu ; la seconde, en six syllabes, est plus proche du rythme original, plus dense, plus dansante. C'est à ce titre que je la préfère, de peu. Quant au v.3, garder le menton m'impose le trident, et la fourchette m'incite à rajouter un couteau (soleil joyeusement affamé, ou rayons coupants ?). Entre les deux, je ne sais trop de quel côté mon cœur balance.

Une chose est sûre : garder menton et fourchette ensemble, en dehors de tout jeu sonore, n'est plus une obligation, mais une maladresse.



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°208 en janvier 2021)