PINAILLEUR PROFESSIONNEL


C'est un beau livre, un plaisir de lecture. Je n'ai pas le texte original et de toute façon je ne connais pas cette langue, mais la traduction va tranquillement son bonhomme de chemin. Du bon boulot, visiblement. Mais c'est peut-être, justement, la qualité de l'ensemble qui fait ressortir d'éventuels menus accrocs, et hausser le sourcil, ici ou là, au pinailleur professionnel.


Le vocabulaire d'abord.

Les chevaux dormaient en chauvissant les oreilles.

Combien de lecteurs connaissent-ils ce terme technique ? Pourquoi nous imposer le recours au dictionnaire, alors que le texte est écrit par ailleurs dans une langue simple, et que leurs oreilles, ces chevaux ne font que les dresser ?

Excès inverse avec ces paluches et ce falzar qui sonnent bizarrement dans la bouche de paysans étrangers. La langue familière est facilement connotée franchouille. Des pognes et une culotte ne seraient-elles pas déjà moins typées ?


Côté syntaxe, je suis un peu gêné par cette réplique dans un dialogue :

Bien que, comme petit plaisantin, on ne fasse pas mieux que le vieux M.

Un peu trop soutenu sans doute, le subjonctif. On peut presque toujours, pour l'éviter, remplacer bien que par même si suivi de l'indicatif.


Je suis très sensible à l'ordre des mots, et ronchonne chaque fois que je rencontre une phrase où, selon moi, on n'a pas gardé le meilleur pour la fin, comme il se doit. Exemple :

Cela nous demanda presque un mois pour dépister le chat roux.

L'information la plus frappante, ce n'est pas la couleur du chat, mais ce temps fou qu'on a mis pour le retrouver. J'aurais donc écrit : Pour dépister le chat roux, il nous fallut presque un mois.

À moins que le confrère n'ait estimé que ce qu'il faut mettre en valeur, en vedette, c'est ce fameux chat, en le faisant trôner à la place d'honneur ?


Encore un passage qui me gêne :

Dans un rugissement effrayant, il s'arracha du bouleau et sauta. Il rebondit par terre comme un ballon de football et fila sous notre cabane.

Désastreux, ce point après sauta ! Il interrompt la fuite du chat en plein élan. J'ai pour principe de ne pas couper les phrases de l'auteur et de ne pas rabouter non plus deux de ses phrases en une seule, mais en traduction toute règle a ses exceptions, et en voici une belle.

Comment ? Cette coupure serait due à l'auteur ? C'est probable. Eh bien il arrive que les auteurs se trompent — même si moins souvent, admettons, que les traducteurs. Dans le cas présent, donc, j'interviendrais sans état d'âme : ...il s'arracha du bouleau, sauta, rebondit par terre... et le chat, cette fois, réussit à s'échapper.


Cette traduction est dans l'ensemble agréable à l'oreille, mais je n'aime pas trop, par exemple, Le silence s'installa. Pour faire entendre le silence, il faudrait éviter ce [s, s] bruyant, et terminer non pas sur un [a] sonore, mais sur le sifflement léger du mot silence, adouci par l'e muet. Nous fîmes silence, pourquoi pas ?


Les poules se précipitèrent sur la boîte et picorèrent toute notre réserve d'appâts.

Mon premier réflexe (obsédé de vitesse que je suis) est de trouver la phrase trop lente. J'aurais préféré se ruèrent. Mais le confrère pourrait me rétorquer que les poules ne sont pas des aigles foudroyants et que sa solution à lui rend mieux, avec son allitération en [p], le piétinement pataud de ces volatiles. Soit.


Les gestes réussis sont moins visibles que les faux-pas, hélas. Voilà pourquoi les pinailleurs se concentrent injustement sur ce qui (selon eux) ne va pas, en oubliant les bons moments. Pour me faire pardonner, je terminerai donc en saluant ce passage :

Pour parvenir là-bas, il nous fallait nous frayer d'étroits sentiers dans les hautes herbes odorantes dont les extrémités oscillaient au-dessus de nos têtes en nous saupoudrant les épaules de pollen jaune. Et lorsque nous rentrions le soir, fourbus, égratignés par les épines d'églantier, brûlés par le soleil, mais avec des poissons argentés en quantité...

À la première lecture, j'ai trouvé bizarre cette absence de ponctuation dans la première phrase. C'est en lisant la seconde que j'ai compris, et apprécié le contraste entre la longue marche tendue et continue à l'aller, et le retour fatigué, clopinant, entrecoupé de pauses. Coller une virgule après odorantes, c'était une solution facile, classique, et tout compte fait tristement banale.



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°195 en décembre 2019)