J'ai mis en ligne sur Facebook hier l'une de mes récentes traductions : le beau poème élégiaque d'une poétesse grecque au soir de sa vie.
Sur Facebook ce matin, message :
Bonjour qui traduit x
Car ce n est pas très poétique
x est un grand poète
Faites attention au passage des langues
Le travail du traducteur, en principe, est salué par le silence respectueux de la presse et les compliments de personnes — parents, amis, auteurs traduits — dont la sincérité et l'aptitude à juger ne sont pas toujours évidentes. Les jugements défavorables, qui ne manquent certes pas, ont la bonté ou l'hypocrisie de circuler derrière le dos du tâcheron. Voilà pourquoi cette critique directe, par delà sa formulation un peu étrange, m'intrigue.
Enquête sur Internet : ma donneuse de leçons est une Française d'origine grecque, qui écrit des poèmes et en a traduit, semble-t-il, quelques uns. Je cherche dans le texte incriminé ce qui aurait pu déclencher ses foudres. Rien de bien évident à première vue, sinon, peut-être, ceci :
Eh oui, comment décrire?
la nature alors qu'elle m'a laissée tomber?
et que c'est seulement à la première de l'automne
qu'elle se souvient parfois de m'inviter ?
Oui, les deux «que». Un peu lourds, ces relatifs. Le français des XVIIe et XVIIIe siècles en faisait un usage parfois orgiaque, puis nous avons cessé de les aimer. J'aurais sûrement pu éviter l'un au moins de ces deux-là. Dans un exercice, à Charles V, n'invitais-je pas à remplacer tous les relatifs par d'autres tournures ?
Essayons :
et qu'à la première de l'automne seulement
elle se souvient parfois de m'inviter ?
Voilà qui est plus lisse, plus coulant. Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Il faudra corriger.
Sauf que... En relisant, un peu plus tard, me voilà vaguement insatisfait. La nouvelle version est plus jolie, plus douce, plus «poétique» sans doute — mais au sens étroit, lamartinien. Elle me semble surtout plus fade et molle. «Seulement» termine le premier vers de façon plus plate, moins dynamique ; le second démarre de façon plus poussive sans le [k] du début. Les deux relatifs et leurs sonorités agressives créaient de la lourdeur et du rugueux au bon moment, pour souligner le déplaisir, la gêne, la difficulté : ils soulignaient combien c'est dur de vieillir, d'arracher cette invitation...
Comme quoi le musicien des mots qu'est l'écrivain ou le traducteur n'a pas pour objectif perpétuel une harmonieuse fluidité. Il doit savoir, par moments, se montrer plus ou moins rude et âpre. Où, et jusqu'où ? Tout est là.
Je remercie ma consœur via Facebook pour son «pertinent commentaire» et l'assure que «je tâcherai d'être plus poétique la prochaine fois». Avec une touche d'ironie — le comprendra-t-elle ? Je crois vain de chercher à la convaincre, mais mes deux «que», il va sans dire, je les garde.
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°151 en avril 2016)