«[Alains] enmena ses freres et.c. de ses parens, et dist que de cele lignie puepliroit aucune gaste terre...»
C'est le début de Joseph d'Arimathie, roman médiéval, publié dans la Pléiade en 2001. Cette version originale est en bas de page et petits caractères, laissant la place d'honneur à une adaptation qui démarre ainsi :
«Emmenant ses frères et cent de ses parents, [Alain] assura que de cette lignée il peuplerait quelque territoire inculte...»
J'ai une vieille tendresse pour la Pléiade, et du respect pour le travail soigné. Je conviens qu'en l'occurrence une version moderne s'impose, et suis sûr que l'actualisateur est un homme savant, consciencieux, bourré de bonnes intentions. Je l'étonnerais en le qualifiant de traître.
Qu'a-t-il donc fait ? Oh, trois fois rien : coordonner habilement deux propositions gauchement juxtaposées ; remplacer le verbe «dire», cet indigent, par un synonyme plus distingué ; trouver partout le mot juste, comme ce «quelque» assurément fort précis. Résultat : la rude vigueur de l'original est noyée sous ce flot d'élégances. L'objet de bois taillé à la serpe prend des allures de meuble en faux Louis XV. Il y a même, au paragraphe suivant, un subjonctif imparfait : «Il ordonna qu'on les amenât» ! Se tromper de film à ce point, c'est grandiose. Rarement vu un échantillon si net, si exemplaire, de français d'éditeur dans sa joliesse gourmée, son conformisme insipide.
Le gang des porteurs de cravate a encore frappé !
Je n'irai pas plus loin dans ma lecture, pourquoi s'énerver ? Mais tout ce que je lirai sur cette Pléiade par la suite, dans la presse, jettera du sel sur la plaie : dans Le Monde, la Quinzaine, Télérama, on résume l'action, qu'on a trouvée palpitante, et pas un mot sur le travail de traduction — fût-ce pour en dire du bien. Comme si cette bibine light était le vin original. Comme si un livre n'était qu'une suite d'histoires, et non, avant tout, une incantation magique faite de mots et de phrases enchaînés.
Consternation (bis).
Votre façon d'approcher ce livre, chers confrères, vous ne la trouvez pas un peu ...médiévale ?
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°13 en septembre 2004)