«...the excitement of the elm trees rising and falling, rising and falling...»
Virginia Woolf, Mrs Dalloway.
«...car ces ormes qui tombaient puis se redressaient, tombaient, se redressaient encore...» (Traduction A, vers 1930.)
«...l'agitation des ormes qui montaient et retombaient, montaient et retombaient...» (Traduction B, années 90.)
«...l'excitation de voir les ormes monter et descendre, monter et descendre...» (Traduction C, 2000.)
L'énergie souple de «rising and falling», l'effet de balancement produit par le redoublement, tout cela est perdu par A., à cause du «puis» qui ralentit, du «encore» qui délaie, et du gommage de la répétition (répéter, à l'époque, cela passait pour manquer d'élégance...).
Je ne sais si B. a vu juste sur «excitement», mais qu'importe : l'essentiel, c'est que le mouvement (à mon avis) est mieux rendu chez elle que chez C. : comparé à l'infinitif, le présent est plus dynamique, les verbes choisis riment comme les deux «-ing», et le «et» s'enchaîne mieux avec le «-aient» que chez C., ou le hiatus [é-é] contribue à freiner l'allure. La version B. est du cinéma, celle de C. plutôt de la photo...
Je me demande si l'on ne pourrait pas, tant qu'on y est, couper les «et» : «...qui montaient, retombaient, montaient, retombaient...» Le geste serait plus dépouillé encore, obsédant, menaçant, désespérant, ce qui serait assez bien en situation — mais aussi plus sec, moins généreux, moins chargé en beauté, alors que Woolf continue ainsi : «with all their leaves alight...»
Les derniers mots, si violemment émouvants :
«For there she was».
Quatre monosyllabes, dépouillement absolu, au bord du silence. Adoration, contemplation presque sans voix. Clarissa devenant déesse inaccessible.
C, avec un souci de précision universitaire, essaie de traduire en détail le sens, et en particulier la valeur emphatique de l'inversion. «Et justement, elle était là.» J'en suis gêné. Ce n'est même pas exact. Woolf n'a pas seulement voulu dire : «Tiens, tiens, comme ça tombe bien !»
«Et elle était là». Grâce à ce «et», qui n'est pas littéral, B. réussit à dire en en une seule syllabe la même chose que C., de façon plus discrète et aussi plus forte. Rythme un peu bancal, mais on peut arranger à la lecture en liant vite «Et elle». Peut-être y a-t-il trop de [é] ?
J'aime beaucoup la version de A, qui se rattrape in extremis :
«Elle était là.» On a gardé le rythme original qui (pour une fois) a la même valeur dans les deux langues : étale, apaisé, point d'orgue. Le «for» a sauté ? So what ?
«But he would not go mad. He would shut his eyes ; he would see no more.»
«...Mais il ne voulait pas devenir fou. Il allait fermer les yeux. Il ne regarderait plus.» (A)
«...Mais il ne voulait pas devenir fou. Il allait fermer les yeux ; il ne verrait plus rien.» (B)
«Mais il ne voulait pas devenir fou. Il allait fermer les yeux. Il ne verrait plus rien.» (C)
Ce «Il ne voulait pas» unanime et indiscutable, pourquoi me laisse-t-il vaguement insatisfait ? D'accord, ce «would»-là exprime la volonté au moins autant que le futur dans le passé. Seulement la volonté, l'obstination est dite aussi par des moyens sonores, par la répétition opiniâtre des trois «would». En traduisant «Mais il ne deviendrait pas fou. Il fermerait les yeux ; il ne verrait plus», on atténuerait un peu la volonté, sans doute, bien qu'elle soit sous-entendue, mais le mouvement de la phrase, plus resserrée, plus martelée, deviendrait plus volontaire.
Oui, mais si je ne traduis pas par «vouloir», le digne angliciste qui me lit va me traiter d'ignorant ! C'est ainsi qu'on hésite, et c'est plus fréquent qu'on ne croit, par pure lâcheté, devant une solution juste sans doute, mais qui a l'apparence de l'erreur...
(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°12 en août 2004)