MARCELINE CHANGE DE RYTHME


On peut de nouveau, grâce à Poésie/Gallimard, lire Marceline Desbordes-Valmore, poétesse romantique trop peu connue. Et c'est un régal. Je savoure notamment sa maîtrise des rythmes, que dans certains poèmes elle varie avec une sensibilité, une justesse de touche dignes d'une attention soutenue.


«Petite Muse, autrefois vive et tendre,

Dont j'ai perdu la trace au temps de mes malheurs...»


10 syllabes, puis 12. Dans un poème très majoritaire en alexandrins, la Muse apparaît sur le premier décasyllabe. Qu'elle soit petite et vive, ce mètre soudain plus court nous le fait sentir — d'autant plus léger, plus dansant qu'il arrive sans prévenir au milieu d'une masse d'alexandrins.



«Peut-être un jour sa voix tendre et voilée

M'appellera sous de jeunes cyprès.»


Pourquoi commencer une Élégie en alexandrins par ces deux décasyllabes ?

Apparaît ici une autre facette de ce mètre, moins sonore, moins affirmatif que l'alexandrin. Le poème démarre piano, en harmonie avec «voilée» et «peut-être».



«Il offrait le plaisir, sans parler de bonheur.

Il s'envola. Je ne perdis qu'un songe.»


En passant de 12 à 10 syllabes, on perd du poids, de la substance ; le second vers est comme l'ombre du précédent, tandis que l'homme se change en courant d'air.



Une exception apparente :


«Hélas ! qu'avait-il fait alors pour me déplaire ?

Il gémissait, me cherchait comme toi...»


12 et 10. Ici le décasyllabe exprime le contraire de sentiments légers. D'où vient qu'il semble soudain si chargé de douleur ? Du fait, probablement, qu'il est lesté, ralenti par la répétition du [è] qui en pratiquant une seconde coupe casse l'élan, et par ce rythme d'anapeste (vv—) martelé trois fois.



«Qui commande à nos sens, qui s'attache à notre âme,

Et qui l'asservit sans retour.»


On passe maintenant de 12 à 8. Mais comment se fait-il que cet octosyllabe, pourtant plus court, semble peser davantage qu'un décasyllabe standard ? Sans doute à cause de son rythme inégal, 5+3, qui en brisant légèrement la cadence, impose un ralentissement.


(Même chose dans cette évocation du mot amour :


«[Je sens]

Qu'il veut dire à la fois, bonheur, éternité,

Et que sa puissance est divine.»)



«Je le lisais partout, ce nom rempli de charmes,

Et je versais des larmes...»


De 12 à 6.

Si la rime était légère, le second vers pourrait n'être qu'un écho assourdi. Mais cette finale riche, longue, vibrante lui donne tout son poids. Ce n'est plus un vers court, on dirait plutôt le vers précédent rallongé, qui se répète, qui déborde, montrant l'obsession, le trop-plein des sentiments.

Ce qui contribue à cet effet d'addition plus que de soustraction, c'est que l'alexandrin ici est nettement scindé en deux : le schéma est moins 12 + 6 que 6 + 6 + 6...)



«Tu t'en vas, tout s'en va ! Tout se met en voyage,

Lumière et fleurs,

Le bel été me suit, me laissant à l'orage,

Lourde de pleurs.»


12 et 4. Bizarre : les deux vers courts semblent presque identiques — même durée, même initiale, même finale. Or, du point de vue du poids, ils sont l'inverse l'un de l'autre. Le premier, qui dit le passage, la fuite, passe comme un rêve, un souffle, tant ses consonnes sont fluides ; le second, il l'annonce lui-même, est du côté de la lourdeur, avec ses deux agrégats de consonnes et le [de] pesamment répété.



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