RÉPÉTER, ENCORE ?


Répéter des mots, c'est mal. C'est du moins ce que nous répètent les professeurs. Le B,A BA du Bien Écrire consiste à supprimer les répétitions. Faut-il donc mettre un zéro pointé à ceux de nos auteurs — si nombreux — qui répètent à qui mieux mieux ?

On en a déjà parlé en mars, je sais, je me répète. Essayons d'ajouter du nouveau.

Nous avions vu la répétition, fort logiquement, du côté de l'accumulation, de la profusion, ajoutant du poids, du plein. Encore un petit exemple :

«Et je passe le reste de l'hiver dans mon cantonnement des Ardennes des chevreuils, des loups et des fêtes au château d'Ansembourg, l'on se ruinait pour me faire honneur, m'amusèrent infiniment.» Prince de Ligne.

Ces deux «où» ne sont pas juxtaposés, mais empilés : l'un renvoie au cantonnement, l'autre au château, la subordonnée introduite par le second dépend de celle du premier. Pas très orthodoxe... Négligence aristocratique ? Ou subtil rebond, débordement grammatical, marquant l'abondance de bonheurs et la vitalité de l'homme heureux ?

Mais il se pourrait aussi que la répétition, de façon toute paradoxale, sache faire le contraire, en créant du léger, du vide.


Echenoz par exemple.

«C'est navrant, avait dit Carrier, nous sommes tous navrés.»

Au lieu de renforcer le message, la répétition l'affaiblit, comme si la pauvreté du vocabulaire trahissait la pauvreté des sentiments.

«C'est-à-dire que je me nourris mieux, hésita Louis-Philippe, je m'alimente un peu mieux.»

Encore un énoncé d'une banalité désertique, dont une partie ne dit rien, où la seconde partie semble effacer la première comme un retour d'essuie-glace.

«Peut-être affolé par cette quantité même de commentaires, à toute vitesse il en cherche un, à toute vitesse il en cherche un.»

Entre la vitesse évoquée et le surplace lexical, joli mouvement contraire. Echenoz, comme souvent, actionne en même temps accélérateur et frein.

«C'était reposant, la musique était reposante, Chopin se fit servir un Bronx.» Ici, belle ambiguïté : on ne sait s'il faut voir ici la plénitude d'une caresse répétée, ou la vacuité d'une pensée qui patine, détendue au point de se ramollir. Les deux probablement. Une légèreté lourde.


«J'ai garé la voiture, j'ai marché à pied. C'était dimanche, c'était ouvert, c'était désert. On n'imaginait pas cela plein.» François Bon.

Les trois «c'était» ont tout aplati. La même chose à perte de vue. La même absence.


«Grand-Mère l'embrassa très vite, au hasard, l'embrassa sans y penser, sans cesser de regarder la femme brune...»

La répétition de «sans» est lourde, elle souligne l'intensité du regard. Celle d'«embrassa» je la vois plutôt légère, signe de distraction, comme si elle l'embrassait la deuxième fois pour avoir oublié la première.


«Lorsqu'il était gris, il venait sonner chez S. et lui ordonnait de lui lire la Bible.»

De tous ces exemples, le seul qui me semble raté : les deux «lui» ne renvoyant pas à la même personne, il s'ensuit un embrouillamini grammatical inutile.

Inutile ?



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