ARCHITECTURES SONORES


«L'bon Dieu, c'est des blagues.»

Pourquoi cette phrase anodine, lue voilà cinquante ans dans un roman d'André Lichtenberger, s'est-elle incrustée dans ma mémoire ?

Le secret de sa longévité, c'est en grande partie, sans doute, la solidité de son armature sonore : les consonnes, disposées symétriquement : l, b, d / d, b, l, dessinent un mouvement contraire très en situation : quelque chose est avancé puis retiré, affirmé puis nié, flux et reflux.



«C'était un grand bourgeois éclai, féru d'architecture et de clarté...» Mathieu Riboulet, Deux larmes dans un peu d'eau.

Même schéma ici, abba — même si contrairement à la précédente, construite sur le mouvement, cette nouvelle phrase, avec son architecture claire, solide et insistante : [é] [é] [ru] [ur] [é] [é], tend vers l'équilibre et l'immobilité.



«C'est alors qu'apparut, tout hérissé de flèches,

Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches,

Sous la pourpre flottante et l'airain rutilant,


Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare,

Superbe, maîtrisant son cheval qui s'effare,

Sur le ciel enflammé, l'Imperator sanglant !»

José-Maria de Hérédia, Les trophées


Fin du sonnet. Vision finale grandiose, tel un tableau étalé sous nos yeux. Juste au milieu, les deux vers les plus intenses :


Sous la pourpre flottante et l'airain rutilant...


Soit l, t, t, r, r, t, l. Symétrie presque parfaite, on dirait l'ouverture d'un éventail sonore. Le vers tout entier rutile (l, r, t, t, t, r, l) !


Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare...


Même chose en plus sonore encore : f, k, k, k, f, f. C'est ce qu'on appelle terminer en fanfare.



«...la règle qui conférait (...) à sa taille une hauteur imposante, à sa carrure une largeur saisissante, à sa chevelure une épaisseur confondante, à ses cuisses un périmètre troublant, une fermeté enivrante, à ses pieds une pointure de Noire d'Afrique, à ses fesses une rondeur provocante, à ses bras une moelleur à croquer, à ses dents une vigueur éclatante, à la fourrure de son pubis une luxuriance exubérante et si tendre...»

Xavier Bazot, Tableau de la passion


Pour ce moment très chaud, répétitions lancinantes, [an], [eur], [ur], comme les rimes d'une litanie religieuse, alternées, en(tre)lacées comme des caresses mutuelles où le désir s'exaspère. Sur ce fond vient éclore, au moment du climax, une orgie de [u], de [i] stridents et de [x] avant la retombée finale dans la douceur des [an]. Le point central du corps et du désir est ainsi montré, au cœur de la phrase, dans une lumière que les tons sombres qui l'encadrent font plus éclatante encore.



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