QUAND SE RÉPÈTE-T-ON ?


En français, on ne répète pas. C'est du moins ce que nous serinent quelques radoteurs. Accordons-leur que notre langue, en principe, répète sans doute moins que certaines autres, et plongeons-nous tout de suite — ce n'est pas la première fois — dans l'étude des cas où il n'hésite pas à répéter.


«Le temps de ce départ estoit encore trop éloigné pour estre un remède à l'embarras où il se trouvoit.»

L'auteure, Mme de Lafayette, n'est pas n'importe qui : son français passe pour l'un des plus purs qui furent jamais.

Simple négligence, dira-t-on ? Voici le tout début de La princesse de Clèves :

«La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d'éclat que dans les dernières années du règne de Henry second. Ce Prince estoit galant, bien fait...

Répétition sans grande nécessité expressive. Il s'agit simplement, semble-t-il, d'insister.


«Il s'habille, il referme avec précaution la porte de l'appartement, il sort de l'immeuble et il commence à marcher dans les rues.» Volodine, Songes de Mevlido.

Virer ces «il», le quatrième surtout, c'est le B,A BA du bien écrire. Mais là ces «il» sont parfaits, ils nous montrent le type marchant comme un automate, de façon mécanique et lourde.


«Drôle de type qui se promène en costume bleu marine avec un cartable vide, et qui se pose de temps en temps dans un café où il boit un café.» Régis Jauffret, Microfictions.

Répétition apparemment calamiteuse, qu'un apprenti écrivain eût soigneusement évitée. En fait, quelle subtilité ! On ne sait trop ce qu'elle exprime, entre l'indigence (le «vide») de cette vie elle-même répétitive et le côté insolite du «drôle de type». Effet à la fois terne et voyant, comme il se doit ici.


«Il était en voiture, à Pau, en compagnie d'une dame très élégante. Oh ! Qu'elle était belle !... Elle avait une grande capote rose... Elle était appuyée nonchalamment sur les coussins de la berline... Son corsage était d'organdi à pois saumon... Qui était-elle ?»

Francis Jammes, Clara d'Ellébeuse.

Cinq «était» ! La jeune Clara pense à celui dont elle va tomber amoureuse. Cette répétition, c'est le signe d'une sidération, de pensées qui tournent en rond, fascinées par un objet unique à quoi elles reviennent sans cesse. Le mouvement culmine dans le piétinement sonore [ètètel], comble de l'obsession.


«Fabien ne pouvait pas se dire tout cela, mais il cherchait à se dire tout cela.» Dhôtel, Le mont Damion. Quelle lourdeur ! se dit-on d'abord. Oui. Une lourdeur posée au bon endroit, au bon moment.

D'abord, le personnage est un imbécile ou du moins passe pour tel, c'est tout sauf un beau parleur, les mots lui résistent, gros blocs encombrants qu'il pousse tant bien que mal, et d'ailleurs il n'en a pas beaucoup, ce sont toujours les mêmes qui servent.

Surtout, en cet instant le temps est suspendu, les mots de la phrase tournent comme le milan tournait dans le ciel quelques lignes plus haut. La phrase suivante, de même, se répètera encore un peu comme en écho, si... si... : «Et alors si les bêtes, si la brise savaient surprendre les instants qui leur étaient donnés...»


«Ça a commencé comme ça.» Céline, début du Voyage.

Ça, un commencement ? Ça... ça... on n'avance pas, on piétine. Et même — ça, com, com, ça — on revient sur ses pas.



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