La musique de Volodine est répétitive, obsédante, comme ce tambour qu'on entend dans plusieurs scènes des Songes de Mevlido. Dans ce livre comme ailleurs, Volodine répète sans arrêt des mots, des phrases entières, de même qu'il répète des situations que l'on revit, des personnages sosies d'autres personnages morts, et répéter les mots, c'est d'abord faire voir et entendre cet éternel retour.
«OUVRIER, SOLDAT, REPRENDS À ZÉRO TES VIEUX RÊVES !
ÉGARE-TOI, REPRENDS À ZÉRO TES VIEUX RÊVES !
HURLE À LA LUNE AVEC LES ÉGARÉS !
REPRENDS TOUT À ZÉRO, DONNE DES ORDRES À LA LUNE !
SI LA LUNE N'OBÉIT PAS, TUE-LA !
OUVRIER, SOLDAT, TU ES LE FRAGMENT D'UN VIEUX RÊVE !
VA SUR LA LUNE, ÉGARE-TOI, TUE-LA !»
Certaines répétitions, chez d'autres, sont des caresses, un massage bienfaisant. Pas chez Volodine. Chez lui, tout est rude, ses personnages étouffent dans la crasse et la puanteur, les mots nous collent à la peau, le langage lui-même est poisseux.
«La pluie crépitait sur Poulailler Quatre.
La pluie chuintait sur toutes les surfaces de Poulailler Quatre.
La pluie rauquait.
La pluie murmurait des prières sorcières.
La pluie tambourinait.»
Mur, mur... prières, sorcières... Mots qui tambourinent.
Dans ce monde en agonie tout est délabré, cassé, le langage une machine déglinguée, qui a des ratés.
«La conversation ne réussissait pas à prendre. Elle aurait pu donner quelque chose, mais là, manifestement, elle n'arrivait pas à prendre.»
«La nuit ondulait comme dans un four.
La nuit.
Elle ondulait comme dans un four.»
Le langage bégaie de fatigue. La machine ralentit, elle va s'arrêter.
Ou peut-être les personnages, les narrateurs répètent pour retenir les mots, la pensée qui autrement se perdraient. La frontière entre réel et rêve s'efface et les répétitions enchevêtrées font sentir cette confusion.
«...une mer originelle totalement noire qu'en fermant les yeux Mevlido imaginait rouge, orange, et qu'au moment du sommeil, alors qu'en lui s'évanouissaient toute conscience, toute intelligence, il voyait bel et bien amicale et orange, hospitalière, séductrice, et rouge, accueillante, et orange.» (p.223)
Les slogans reviennent comme des refrains, scandés par les vieilles prolétaires, ahurissants, d'une beauté poignante : s'agit-il d'un langage appauvri, mourant, vide, ou d'une parole magique, riche, mystérieuse à ruminer sans fin ?
PETITES SŒURS HABILLÉES DE FLAMMES, DÉVÊTEZ-VOUS, FRAPPEZ !
PETITES SŒURS NUES, QUITTEZ VOS FLAMMES, RENAISSEZ, FRAPPEZ !
QUITTEZ VOS FLAMMES, RENAISSEZ, FRAPPEZ !
RENAISSEZ, FRAPPEZ !
FRAPPEZ JUSQU'À LA FIN, FRAPPEZ !
C'est la fin du livre. Ça répète et ça cogne jusqu'au bout.