RETOUCHES


J'ai adoré ce bouquin récent. Le récit, les personnages m'ont emballé. L'auteur peut en être fier : il m'a bluffé malgré des faiblesses qui auraient dû me rebuter. Si certaines pages, en effet, vont droit au but, d'autres pataugent, mollement écrites. J'ai souligné au crayon, en lisant, des phrases entières qu'il faudrait — selon moi — resserrer.

(Chose étonnante, les remarques suivantes se limitent aux 50 premières pages : l'auteur s'est-il ressaisi ? Ai-je été pris par l'ambiance au point d'oublier tout esprit critique ?)


Ça commence dès l'incipit :

«Elle est assise devant moi, concentrée, attentive, soucieuse d'apporter des réponses à mes questions». Une première phrase, il faut que ça claque. Celle-ci en particulier aurait dû être «concentrée» elle aussi, tendue, à l'image du personnage. «...soucieuse de (bien) répondre...» ?

La phrase d'après : «Sa petite taille, la minceur de son corps enfoui dans une robe de chambre et l'expression sérieuse de son visage...» Une femme si menue, est-il bon de la gonfler ainsi ? «...son corps mince... son visage sérieux...»

La ligne suivante : «...une enfant un peu malade, momentanément consignée dans sa chambre». Pour exprimer un moment bref, traîner ainsi ? Cet adverbe contre-expressif, et d'ailleurs inutile, ne peut-on pas le sauter tout simplement?


De même, plus loin : «...mon excitation et mon euphorie ne tardèrent pas à se dissiper.» «...se dissipèrent bientôt» ?

«Après le monde magique que j'avais entrevu...» Oh le vilain que-que... «...le monde magique entrevu», cela suffirait, non ? La lourdeur est d'autant plus gênante ici qu'il s'agit d'actions fugitives...

«...il me parlait avec infiniment de délicatesse...» Est-ce le moment de piétiner lourdement, alors qu'on attend de vous «une infinie délicatesse» ?


Ailleurs :

«[mon corps] avait subi une sorte de mue et la jeune fille que j'étais en train de devenir m'était étrangère.» Aïe la lourdeur ! «...la jeune fille en train d'apparaître...» ?

«Une sonnerie de téléphone résonna dans une pièce voisine. Il y eut un claquement de talons hauts sur le plancher...» A-t-on vraiment besoin des verbes, pour ce qui n'est qu'une didascalie ? Vite, «résonna» et «Il y eut» à la poubelle.

«Ça va marcher, je sais que ça va marcher», me répétait-elle...» Le «me» est superflu, «répétait» aussi («marcher» étant repris, on a compris !), et [t,t] nous agresse l'oreille sans raison. «disait-elle» suffit.

«...une force nouvelle que je ne me soupçonnais pas.» «...une force nouvelle insoupçonnée» ?

«...le sentiment vertigineux que j'allais mourir...» Se sentir mourir, c'est vertigineux, est-il besoin de le dire ?

La mère dit à la fille : «C'est ta vie, c'est ton tour». La fille réagit deux lignes plus loin : «Je lui adressai à mon tour un petit geste de la main...» Je ne suis pas contre les répétitions quand elles servent à quelque chose, mais celle-ci est non seulement inutile, mais malencontreuse : les deux «tour» ne sont pas sur le même plan.

«...leur dit-elle en me prenant par la taille et en m'entraînant en direction du Trocadéro.» Aïe, les trois «en» ! C'était si facile d'écrire : «leur dit-elle, me prenant par la taille et m'entraînant vers le Trocadéro»...

«...c'est un âge où l'on ne sait encore rien de soi, où l'on doute, où l'on se cherche.» Ne serait-il pas plus logique de chercher avant de douter, autrement dit d'agir avant de s'interroger sur cette action ? Et plus frappant de terminer sur le suspens du doute plutôt que sur l'affirmation de la recherche ?


Mon pauvre ami ! me dira-t-on. Tu es bien le seul, avec une poignée d'autre obsédés peut-être, à remarquer ces détails infimes, insignifiants. Ils ne gênent en rien la lecture et n'empêchent pas ce bouquin d'être passionnant et de se vendre comme des petits pains.

Je repense au cri du cœur d'un critique à propos de mes Coups de langue : «La lecture de Volkovitch est un exercice fictif, ce n'est pas de cette façon qu'un lecteur normalement constitué lit.»

Ceux qui tiennent ce discours n'ont pas entièrement tort. La preuve, nous lisons tous avec plaisir certains livres en dépit d'une écriture médiocre, voire déplorable. Un exemple ? Hum, pas facile... Albert Cossery ? Pourtant je persiste et signe. Je crois et croirai toujours, de toutes mes forces, que le style, comme on dit, n'est pas l'enjoliveur de la voiture, mais son moteur même ; que le travail sur le contenu et celui de la mise en forme ne sont qu'un seul et même travail. Mon but, mon utopie, c'est d'aider le lecteur «normalement constitué» à rejoindre, à élargir le petit cercle des obsédés, ce qui leur vaudra des plaisirs plus subtils et plus intenses encore.



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