MORALE DU RELATIF


Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, on a fait des que et des qui un usage effréné. Puis, d'un seul coup on s'est mis à les juger lourds. (Pourquoi donc ?)


«Ce n'est que parce que l'on est fort que l'on s'adapte à la réalité qui est aussi savoureuse que rude, et parce qu'on est faible qu'on se replie sur soi pour la rêver telle que l'on désirerait qu'elle fût.»

Le livre de mon bord de Pierre Reverdy est un recueil de maximes, genre classique ; d'où ce ton très d'époque, en effet. Ils évoquent, ces relatifs, les rouages d'une mécanique lente, précise, implacable ; les ricochets d'une boule de billard ; ou ceux d'une image reflétée :

«...des sentiments qui nous sont propres et que nous prenons comme un miroir que nous ne regardons que parce qu'il reflète nos traits.»


«Cette pièce où des glaces (...) se renvoyaient à perte de vue, dans les murs, des enfilades de boudoirs roses, avait été célèbre parmi les filles qui se complaisaient à tremper leur nudité dans ce bain d'incarnat tiède qu'aromatisait l'odeur de menthe dégagée par le bois des meubles.»

J.K. Huysmans, À rebours.


Mon premier réflexe est de juger la phrase moche, contournée, raide à la fin, quand il faudrait (les chairs, les odeurs, la tiédeur) s'alanguir. Mais j'ai tort : ce que Huysmans a rendu d'abord, par ce rebond syntaxique, c'est les échos visuels des miroirs, la complexité du labyrinthe, et la rigide froideur de ce monde factice derrière les séductions de surface.


«Et je comprenais que l'angoisse se dissipe à la seule image de la mort qu'elle porte en elle, qui est son énigme qu'il suffit de déchiffrer pour la comprendre.»

Jean Reverzy, Le silence de Cambridge.

Là aussi, les que et qui figurent les angles d'un labyrinthe angoissant, les détours d'une énigme, avant que la mort vienne tout dénouer.


«Nous sommes passés au pied de châteaux qui ont des tours rondes, des toits en poivrière, des galeries entre ciel et terre, et qui sont debout dans un berceau d'arbres qui tournent autour d'eux.»

La phrase de José Cabanis dans La bataille de Toulouse, à première vue maladroite, tourne en fait habilement sur ses trois qui, la longueur décroissante des trois segments qu'ils séparent dessinant un mouvement de repli, de fermeture. (On se disait aussi : Cabanis, rater une phrase ?)


«J'appréhendais sans cesse qu'une mauvaise action ne me fît dévier pour toujours de la voie étroite qu'un idéal sévère me présentait comme le juste chemin.»

Jacques de Lacretelle, Silbermann.

Phrase bien tapée, d'une belle fermeté dont les deux angles droits peuvent illustrer soit les virages à angle droit du pécheur, soit sa rigueur calviniste. La grammaire est aussi affaire de morale...


(Chronique parue dans la Quinzaine littéraire N°841 du 15.11.2002)



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