TOUT EST RELATIF


Je pense Madame, que vous vous souvenez bien que je vous ai dit qu'encore que Sapho sache presque tout ce qu'on peut savoir...


Ils se sont mis à deux, Madeleine et Georges de Scudéry, pour pondre cette petite horreur.

Ils écrivaient, il est vrai, dans un XVIIe siècle amoureux des relatives, et même si la langue a changé depuis, on peut fort bien goûter aujourd'hui encore, sinon cette phrase-là impardonnablement alambiquée, du moins une foule d'autres de ce siècle-là, à la fois tortueuses et carrées, solidement harnachées, aristocratiques dans cette façon de montrer sans gêne leurs articulations et de souligner fièrement la complexité de leur pensée, avec un dédain de la fluidité souvent superbe.

J'aime bien, parmi des milliers d'autres, cette petite phrase du très oublié Adrien-Thomas Perdou de Subligny :


Mais comme il n'y a rien qui embarrasse tant un homme qui parle bien, que de se trouver avec des gens qui ne veulent point parler...


Le plaisir que procure cette phrase toute simple et anodine, mais bien balancée, c'est l'équilibre entre ses deux parties, se terminant chacune par le même verbe, et contenant chacune deux relatifs.


À juger de cette femme par sa beauté, sa jeunesse, sa fierté et ses dédains, il n'y a personne qui doute que ce soit un héros qui doive un jour la charmer. Son choix est fait : c'est un petit monstre qui manque d'esprit.


La Bruyère, grand orfèvre des mots. Deux parties : l'espoir, la chute. Dans la première, trois relatifs, comme un ressort qu'on tend peu à peu, ou les trois marches d'un escalier, avant la seconde et son patatras. D'abord une accumulation, puis la chute, sèche et nue, où l'unique relatif semble un écho ironique aux précédents.

Aujourd'hui les qui et les que sortent bien plus rarement du placard, et sont plutôt mal vus.


...On ne peut qu'être déçu malgré tout en ne voyant au bout du compte qu'un énorme volant qu'une équipe de spécialistes s'acharne à faire tourner, sans avancer ne serait-ce que d'un mètre.


Trouvant cette phrase dans la traduction d'un texte récent, je suis conditionné à la juger inutilement lourde, mais à la deuxième lecture elle commence à me plaire : elle piétine, elle bute, comme les spécialistes en question. Le volant ne tourne pas, mais eux tournent en rond et la phrase avec.


Là où intervient la dualité de la pensée, c'est que ce bonheur supposé que j'imagine que je vais ressentir rétrospectivement en repensant à cette période, je ne le perçois pas pour le moment.


L'auteur étant une star (Jean-Philippe Toussaint, dans le très fêté L'échiquier), on se croit obligé de justifier cette redondance des relatifs, d'autant plus étrange qu'on pouvait aisément l'éviter avec, par exemple, un «dont j'imagine que» ; on y arrive d'autant moins que la suite («ressentir rétrospectivement en repensant») est macaronique et cacophonique, que cinq lignes plus loin on tombe sur un calamiteux «...j'avais été heureux à Bruxelles à travailler à ce nouveau livre...», indigne d'un pro, et l'on se surprend à soupirer : il a travaillé, vraiment ?



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