Tout avait bougé, dévié, tangué, valdingué, dégringolé...
Maylis de Kérangal
Rythme amplifié (2, 2, 2, 3, 4) à mesure que s'amplifie le mouvement, et répétitions insistantes : le [é] final et surtout le [g, g, g] qui fait entendre une chute rebondissante. («Dégringoler», quel beau mot en cascade !)
Autre énumération ordonnée, harmonieuse :
...mais c'est un fait que j'avais alors le marteau facile, le tournevis intrépide, la clef à molette primesautière, et assez de vocabulaire pour en imposer à n'importe quelle panne.
Jacques Perret
Rythme en expansion régulière, là aussi : 5, 7, 8, etc. Et là encore, les assonances, [i, i, i, èr, èr] contribuent à la cohésion de l'ensemble. Tout cela solide, équilibré. La musique des mots le dit elle aussi : cet homme a son affaire bien en main.
Quand on est volubile et joueur, quand on possède un riche vocabulaire, comme Jacques Perret, on aime énumérer.
...que le jour te fasse bondir hors du lit, de l'appartement, de l'immeuble, de la rue, du dix-neuvième arrondissement, de la ville, de la région, du pays, du continent, du globe terraqué, de l'air.
Eugène Savitzkaya
Nouveau mouvement amplificatoire. Mais aligner des segments sans cesse plus longs s'avérant trop difficile, l'auteur opte pour une série de vagues : lit, appartement ; immeuble, rue, dix-neuvième arrondissement ; ville, région ; pays, continent, globe terraqué ; et enfin l'air tout seul, jolie chute où l'immensité est suggérée par la brièveté. Seulement voilà, l'ensemble est un peu raté, car pas assez lisible, trop morcelé : il faudrait trois vagues au maximum, en remplaçant l'appartement par «chez moi» par exemple.
Montagnes de sel et de minerais, grues et chantiers, entrepôts, cargos, tankers.
François Dominique
Ici, mouvement inverse. Non seulement les segments sont à chaque fois plus courts, mais les composants de chacun d'eux sont de moins en moins liés entre eux : «montagnes de sel» et «minerais» sont reliés par le «et» plus les sonorités ([m] et [è]), «grues» et «chantiers» par «et» seulement, «entrepôts» et «cargos» par la seul assonance [o], et «tankers» est tout seul : façon subtile de suggérer que la vie à Port Hedland est pauvre et solitaire.
...un pan de maçonnerie moussue, bossue, basse, carrée...
Pierre Michon
[m, m], [su, su], [b/s, b/s], [a,a] : chacun des quatre côtés du carré solidement relié aux autres, dans une structure en maraboudficelle. Le mot qui résume la vision, «carrée», doublement mis en valeur, car placé à la fin, et un peu isolé : il tient aux autres par une voyelle seulement et sa finale est la seule sans [s]).
Ce qui suggère aussi la solidité du mur, outre la progression sémantique, ce sont les initiales de plus en plus martelées, de [m] à [k] en passant par [b].
Retour à Jacques Perret, avec un schéma plus complexe :
Assez d'illustres ignares et de talentueux analphabètes parlent impunément du destin de l'homme, de la liberté, de la pêche à la ligne, du gouvernement des peuples, de Dieu, de la conscience universelle, des silicones, des Mau-Mau et de la fatalité historique pour que je m'autorise à discourir du ski.
Ça démarre classique sur le schéma rythmique vu précédemment (5, 5, 6, 7), puis ça dérape et part en tous sens, comme les sujets abordés. Sémantiquement, ça commence à déconner avec la pêche à la ligne, et les rythmes font de même peu après à partir de Dieu, ce monosyllabe, tandis que les sonorités s'éparpillent : pas de répétitions, à part le [ô] de «silicones» et «Mau-Mau», bref îlot de rabâchage dans ce vau-l'eau sonore.
Une chaleur étouffante, le continuel aspect des plus brillantes toilettes, et l'étourdissement que produisaient sur Augustine la vérité des couleurs, la multitude des figures vivantes ou peintes, la profusion des cadres d'or, lui firent éprouver une espèce d'enivrement...
Balzac
Même départ classique : 6, 12 (6+6), 13 (5+8), le rythme se dilatant pour exprimer la profusion, mais après «Augustine» tout se complique : le troisième segment donne naissance à un rejet lui-même en trois parties, comme ces fusées de feu d'artifice donnant naissance à d'autres fusées ; seulement cette fois le rythme (7, 12, 8) se resserre à la fin. La scène est placée sous le signe double de l'abondance et de l'étouffement, de la dilatation et du resserrement, et Balzac trouve admirablement les rythmes qu'il faut pour exprimer ces deux mouvements contradictoires.
Le Relax Hotel est un hôtel propret, livide, utilitaire, fleuri, figé dans son apothéose 80s...
Frédéric Ciriez
Pour faire sentir la banalité de l'hôtel, une énumération sans histoire, avec une vague velléité de rythme amplifié : 2, 2, 4, mais 2 à nouveau avant le segment long final, ce qui atténue l'effet et rend le tout un peu boiteux, sans allitérations notables à part le [i] qui revient et les deux [f] à l'initiale, comme un moteur qui tousse et s'arrête : ça bouge à peine avant de se figer.