ESCALE À HAMBOURG


Des mots planqués derrière d'autres mots, qu'on fait voir sans les dire : le calembour est un acte magique, une rencontre avec les fantômes. Un palimpseste, qui dit deux choses à la fois avec une générosité, une économie, une élégance admirables.

Sa fortune actuelle (journalistique et publicitaire) est pour quelques vieux ronchons un signe d'incurable décadence. Jean Dutourd dénonce en lui «une manifestation de nihilisme». Pas si mal vu, Grand-père. Il y a dans le calembour, au niveau immédiat, un manque de respect pour les mots — dissimulant aux myopes un respect plus profond, un amour plus vrai.

Les écrivains ? Quelques zozos mis à part (Rabelais, Shakespeare, Queneau...), ils font plutôt la fine bouche. Les jeux de mots ponctuant Madame Bovary sont tous désastreux, tous prêtés à des personnages odieux ou ridicules, préfigurant le lamentable docteur Cottard chez Proust. Quant un auteur se lance, on le sent souvent qui serre les fesses, qui s'impose un rituel expiatoire. Comme dans Sonates de bar d'Hervé Le Tellier où le narrateur, barman à New-York, demande à un client costumé en Dracula, «Vous rentrez au Vampire State Building ?» avant de commenter décevamment : «Ce n'était pas très drôle...». Mais si !

Robert Desnos, lui au moins, n'a pas peur :

«Ils étaient quatre qui n'avaient plus de tête, / Quatre à qui l'on avait coupé le cou, / On les appelait les quatre sans cou.»

De ce point de départ nullissime est né un long poème très inspiré !


Parti, de François Salvaing, raconte l'histoire d'un homme qui appartenait au parti communiste et qui en est parti. Laisser tremper un nom jadis sacré dans un jeu de mots, c'est déjà le bafouer, surtout quand le deuxième sens évoque l'abandon et la défaite. La brièveté du titre avive sa cruauté.


Petites natures mortes au travail d'Yves Pagès consacre un chapitre au malheureux qui doit, pour gagner (mal) sa croûte, se déguiser en clébard à Disneyland. Titre : «Pluto que rien». Bien vu : le cabot de Disney, la situation de cet homme et le calembour lui-même ont au moins une chose en commun : ce mélange de comique et de pitoyable.


Dans un poème consacré aux chiottes, Maurice Roche se sort les tripes :

«Où y a d'l'hygiène y a plus de plaisir ! (...) À force de bucolique, tomber dans l'églogue. (...) Qui va à la chasse perd sa pêche.» etc.

Le titre de cette joyeuse rigolade : «Le suicidé et son double». Le sous-titre, encore plus sinistre : «Gas chamber» (l'anglais par euphémisme, je suppose : il n'a pas osé «Chambre à gaz»).


Curieux tout de même : dans ces quatre derniers cas, bras-dessus bras-dessous, allégresse langagière et désespoir.


(Chronique parue dans la Quinzaine littéraire N°833 du 15.06.2001)



*  *  *