Quand Mamie sera morte.
C'est le leitmotiv de ces quarante pages : Quand Mamie, de Noëlle Revaz. On n'y arrête pas d'imaginer l'avenir. Quand Mamie sera morte on fera ci, on fera ça...
Un texte au futur. Il est partout avec ses triomphaux coups de trompette, rra... rra... rra... Ça rime avec hourrah.
Oui, mais très vite ça se complique. Apparaissent de menues anomalies, comme ces exceptions à la concordance des temps :
Tu imagines, quand elle décède, ça va nous donner du boulot, de fond en comble rafraîchir.
Non-concordance, comme en anglais. Ce présent soudain sert à rapprocher l'événement, on s'y croit déjà.
Ce geste grammatical est encore plus frappant quand le présent squatte non la subordonnée, mais la principale :
Quand Mamie sera morte on passe mieux la tondeuse. On se fait couper les cheveux.
Un jour on se relèvera et on verra, tout est neuf et tout respire la lessive...
Peu à peu le présent se fait plus pressant, il s'étale, on s'y installe.
On peut voir dans ces infractions légères aux règles grammaticales classiques le souci de briser la monotonie, de ne pas noyer le texte sous un déluge perpétuel de futurs. Il faut surtout y saluer, sans aucun doute, une volonté expressive : cet usage peu orthodoxe des temps nous suggère que celui qui parle (ou celle, ou ceux, on ne sait trop dans ces pages-là) n'est pas agrégé de grammaire ; qu'il n'écrit pas mais parle (Quand Mamie fut écrit pour la radio) ; qu'il est ému, qu'il ne se contrôle plus parfaitement. Et plus profondément, cette transgression syntaxique est peut-être aussi l'inscription dans les mots du sujet profond de ce livre. La mort de Mamie, c'est une libération, l'invitation à transgresser les interdits qui nous brident. Mort de la grand-mère, mort d'une certaine grammaire.
Il n'y a pas que les temps verbaux. L'ordre des mots joue sa partie :
Claque le facteur la portière, crient les enfants dans la rue...
Ça claque en effet, ça gifle, ça secoue. C'est une phrase mimétique évidemment, l'ordre des mots insolite reproduit la soudaineté, la brutalité du claquement et des cris. Mais là aussi ce n'est pas tout :
On devient la fleur de nous-mêmes et est abattue la besogne comme par des bûcherons magiciens.
L'inversion, la torsion ici n'évoque rien de concret, on pourrait s'en passer. Elle est là comme un signal, elle nous fait comprendre à mots couverts que si l'ordre habituel est inversé, c'est qu'il se passe quelque chose de renversant.
Malencontreux, le hiatus et-est ? Non, voyant, délibéré ; expressif, sorte de bégaiement hilare ; transgressif lui aussi.
À la dernière page on apprend que Mamie est morte depuis longtemps, et tous les espoirs s'effondrent. Surprise ? Oui et non. On aurait pu le savoir dès le tout début. La première phrase :
On avait toujours dit : Quand Mamie sera morte...
Le plus-que-parfait annonçait la fin, mais on ne l'a pas vu, ou alors on l'a oublié. Du coup on a envie de le relire, ce Quand Mamie, on l'imagine plein de ruses cachées qu'à la première lecture on n'avait pas su voir.