VALÉRY RALENTIT


Tes pas, enfants de mon silence,

Lentement, saintement placés...


C'est le début d'un poème de Valéry, «Les pas», que j'aime au point de l'avoir appris par cœur jadis. Je peux encore le réciter, mais voyons-le imprimé pour vérifier que ma mémoire est bonne.

Eh bien non ! J'ai modifié le vers 2. Valéry a écrit :


Saintement, lentement placés...


C'est surprenant, pour deux raisons.

D'abord, on attendrait plutôt une progression sémantique, les pas étant décrits physiquement d'abord, puis moralement, comme dans ma version.

Ensuite, un fin musicien comme Valéry devrait logiquement éviter le frottement sifflant de «silence» / «saintement» et placer «saintement», plus sonore, en dernier, pour offrir une fin de vers plus brillante.

Valéry en l'occurrence enfreint les règles de l'harmonie classique. Pourquoi ?

La clef du mystère, c'est sans doute le mot «lentement», qui résume tout le poème.

Ce sifflement, si on veut l'éviter, oblige à faire une petite pause. Ce «saintement», c'est un ralentisseur. Du coup le mot-clef «lentement» est placé en second, donc mieux mis en valeur. C'est en outre le plus lent des deux adverbes, avec ses sonorités plus sourdes et le piétinement de ses deux [en].

«Ne hâte pas cet acte tendre», dira le poète vers la fin du poème. Mais placer les deux adverbes dans cet ordre, c'est le dire déjà, le faire sentir de façon subliminale — pas la moins efficace...



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