MOTS OBSÉDANTS


Lorsqu'on entend un mot RÉPÉTER l'un des sons qui le composent, voyelle ou consonne, il faut dresser l'oreille : il a, en principe, quelque chose à nous dire.

Ces mots, par exemple, qui reprennent la même voyelle obstinément, des mots d'une seule couleur, comment dit-on ? MONOCHROMES ! (Il l'annonce, la couleur, celui-là.) Ils sont presque toujours MONOTONES.

Annoncer un MONOLOGUE, c'est laisser deviner que ça va être long...

Le DÉGÉNÉRÉ ? Épuisé par les mariages consanguins, le manque d'échanges, de variété.

DÉCÉRÉBRÉ : impulsion électrique répétée quatre fois, sans résultat. Électroencéphalogramme plat.

Ces deux-là, on les imagine HÉBÉTÉS.

CARAVANE : trois bêtes à la QUEUE-LEU-LEU.

Le son [a] étant sombre par nature, le CATAFALQUE s'habille à juste titre en noir, avec son CADAVRE à l'intérieur.

Grave et sonore, le [a] : MALABAR esquisse un costaud solidement campé sur ses voyelles, tout d'une pièce, au vocabulaire sans doute limité.

Une voyelle potentiellement lourde peut-être allégée par ses consonnes : témoins celles, fluides ou rebondissantes, du joli FALBALAS. La répétition, du coup, cesse d'être terne pour se faire ludique, voire comique : TRALALA ! L'HURLUBERLU prête à rire. Et du coup le babil de l'enfance n'est pas loin, n'est-ce pas BÉBÉ, TONTON, BOBO, CUCUL, ROUDOUDOU ? Ou le mignon DOUDOUNES, idéalement gémellé ?


Les consonnes sont souvent de la fête. Ce sont elles qui rendent RESSASSER si efficace. (Le fait qu'il soit un palindrome ne s'entend pas, mais cela tombe fort bien.)

Le FARFADET, on le voit voleter de-ci, puis de-là.

LIBELLULE, reprenant les souples consonnes de FALBALAS, mais sans ses voyelles épaisses, devient légère comme une bulle, portée par ses quatre ailes battantes.

PALPITER, petite merveille. Il suffit d'un [p] pour faire sentir la petite pulsation qu'il évoque.

Que nous ayons plusieurs VERTÈBRES, qu'une seule ne vaille que reliée aux autres, le mot le suggère discrètement avec le redoublement de la voyelle et surtout celui, non seulement du son [r], mais d'un nœud de consonnes, [rt] puis [br], qui rendent ce mot vibrant.

Le retour des sons suggère aussi — PATATRAS, CATASTROPHE — un objet qui rebondit dans sa chute. Le plus réussi de la famille étant sans doute CATACLYSME, avec son début plus sonore et sa fin plus lamentablement sourde.

Gloire à tous ces mots réussis ! Il est vrai que la plupart des mots le sont, puisque par instinct l'être humain s'efforce de mimer la chose en la nommant — n'en déplaise au vénérable Platon, qui dit parfois des conneries comme tout le monde.

Mais, objectera-t-on, il existe aussi des mots ratés. DÉCONTRACTÉ, par exemple, est une horreur : avec sa longueur entortillée, ses sonorités dures, noueuses, tendues, il fait entendre le contraire de ce qu'il signifie. Dire «Décontractez-vous», c'est faire comprendre que ce sera long, compliqué, voire impossible.

(Peut-être le mot est-il réussi malgré tout, de façon plus subtile, si l'on considère qu'il le fait exprès de dire une chose et d'en suggérer une autre ? Les mots menteurs, c'est utile aussi.)

ABRACADABRA !

Le mot du magicien, mot magique. Grand geste du bras ! Large cercle et boucle bouclée. Appel martelé, obsédant, comme dans tous les rituels. Pétaradant, rutilant, m'as-tu vu comme un roulement de tambour. Il s'attarde, il s'étale, il s'écoute. Église ou fête foraine ? Le magicien (l'écrivain) est-il un prêtre ou bateleur ?



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