Métro, moto, vélo, resto, ophtalmo, dermato, gynéco, les étrangers s'étonnent de cette manie que nous avons de raccourcir nos mots. Certains Français, eux, s'affligent : nous mutilons nos mots, les rabaissons, au lieu d'opposer aux étrangers envahisseurs le rempart d'une langue parfaite, aux vocables en grande tenue !
J'ai déjà causé quelque part de ces mots raccourcis, mais où donc ? Je me perds dans mon fourbi. Redisons-le donc : les mots ont une version complète, leur tenue de soirée : MÉTROPOLITAIN, CINÉMATOGRAPHE, OTO-RHINO-LARYNGOLOGISTE, et une abrégée, plus familière, plus maniable, pour l'usage courant, il y en a pour tous les goûts et cela est bon. Ceux qui n'aiment pas le vélo n'ont qu'à se payer un vélocipède, c'est plus classe.
Ce que je voudrais montrer ici, c'est que le mot raccourci, bien souvent, n'est pas une forme utilitaire et subalterne, donc un peu honteuse, mais que c'est lui, au contraire, qui fait le mieux entendre la chose qu'il désigne. Le plus juste, le plus poétique souvent, c'est lui. Les dictionnaires se doivent de l'accueillir aux côtés de l'officiel encravaté.
D'une manière générale, son premier avantage est d'être bref, c'est-à-dire dense, plein de substance, laissant tomber les terminaisons raides ou molles pour ne garder que l'essentiel.
Une INFO, une MODIF, c'est rapide, énergique, mieux adapté à des opérations courantes qu'INFORMATION et MODIFICATION, ces deux balourds. Sans être pour autant moins clair.
Non seulement TRAM est délicieux à dire, dans sa monosyllabie éclatante, mais il devrait combler nos linguistes patriotes en ce qu'il efface les origines étrangères de TRAMWAY.
Je me sens plus frais, plus fort et plus souple en faisant de la GYM qu'en me livrant aux contorsions laborieuses de la GYMNASTIQUE.
Pompeux, pesant, le trop digne BACCALAURÉAT, mais quel bonheur de passer le fleuve sur le BAC pour aborder en FAC !
PROVOCATION, vieille revêche, tu pâlis devant la fringante PROVOC et sa finale choc. Et si ma COLOCATAIRE est sévère, je me marre bien avec ma COLOC un rien loufoque.
Pour réparer nos âmes et nos corps, mieux vaut un PSY qu'un PSYCHIATRE et un simple KINÉ qu'un KINÉSITHÉRAPEUTE : ce sera moins guindé, plus humain, sinon moins cher.
Longtemps, l'ORDINATEUR fut une machine froide, intimidante, mais depuis quelques années l'ORDI prend doucement sa place : nous avons apprivoisé la bête, elle a reçu un petit nom clair et joyeux, et celui-ci, rimant avec ORGANDI et CANDI — une étoffe légère et une friandise ancienne —, masque la modernité agressive de l'engin.
L'agriculture BIOLOGIQUE, on ne voit pas bien ce que ça veut dire, mais que c'est beau, le BIO ! C'est rond, ça sonne, ça claque, taïaut ! Par la grâce d'un mot admis au club fermé des monosyllabes, lesquels nomment les réalités les plus familières, l'écologie, longtemps marginalisée, accède au rang de notion fondamentale.
Faut-il pour autant jeter les versions intégrales des mots ?
Ne jetons jamais rien. Les plus désuets d'entre eux peuvent toujours servir pour s'amuser, comme le chapeau-claque de l'arrière-grand-père pris comme déguisement. D'autres ont un rôle à jouer en ce qu'ils apportent une nuance précieuse.
Une ADO, c'est une fille comme j'en ai tant vu au lycée : jeunesse, vivacité, naturel. L'ADOLESCENTE, pour moi, chargée de ses syllabes lentes, est plutôt une jeune personne évanescente, voire dolente, comme celles d'autrefois — telles qu'on se les imagine.
Certains d'entre nous louent un petit APPART', et d'autres plus chanceux possèdent un grand APPARTEMENT.
Entre EMMERDES, à la finale plus vigoureuse, et EMMERDEMENT, plus long, plus insistant, je me demande ce qui est le pire, alors gardons-les tous les deux.
L'autre jour, une amie m'informe par SMS qu'elle est en retard, coincée dans les EMBOUTES. Jamais entendu ça. Je crois à une invention PERSO, induite par ces claviers lilliputiens qui font du pianotage une corvée. Eh bien non, m'informe-t-on, EMBOUTES est en usage ici ou là. Je suis charmé d'assister sinon à la naissance, du moins à la petite enfance d'un mot, lequel me semble pour tout dire meilleur que sa version longue : l'image de l'EMBOUTEILLAGE parle moins que celle de ces voitures mises bout à bout, proches à s'emboutir. Cela mérite une RECTIF dans le DICO !