Il y a des mots qui chantent juste et d'autres faux. Des mots réussis, les plus nombreux, à la sonorité délicieusement adaptée à ce qu'ils désignent, et quelques autres aussi, ratés. J'ai consacré des pages et des pages aux uns et aux autres, pour savourer leur beauté ou leur laideur et tâcher de comprendre l'une et l'autre.
Mais on n'est jamais aussi bien servi que par les autres, parfois. D'autres le font avec une délectation au moins égale à la mienne. Au fil de mes lectures, je note précieusement leurs commentaires sur tel ou tel mot, ceux surtout où ils battent le rappel des mots de sonorité voisine que celui-ci fait résonner, tous s'enrichissant mutuellement.
Jacques Lacarrière, chemin faisant dans la campagne française, ouvre grand les oreilles à la musique des noms de lieux :
LANGRES. «Je n'aimais pas ce nom. Il porte en ses syllabes la langueur d'un ogre, la pluie sur le granit, l'ennui ancré dans le cœur d'un plateau.»
BOURBONNAIS. «Nom prosaïque aux lourdes syllabes de bourg et de boue, évoquant les mottes lourdes et molles sous les pieds.»
Chevillard, hypersensible à la musique des mots — il se moque parfois des effets allitératifs de ses confrères, mais pratique le même sport intensivement —, a une tendresse pour KANGOUROU : «Aurais-tu fait de tels sauts (...) si tu n'avais été ainsi propulsé par le K., qui est ta silhouette debout au départ de ton nom comme devant le sautoir, un vrai trampoline sur quoi bondissent et rebondissent les syllabes attachées à cette initiale élastique.»
Et il épingle imparablement, par exemple, QUINQUAGÉNAIRE : «Quel mot lent et pesant, et comme articulé déjà à un déambulateur.»
Maylis de Kérangal — est-ce un hasard si l'on trouve ici certains de nos meilleurs écrivains ?» aime entre autres BAÏKAL : «Trois éclats de quartz jetés au soleil».
Et elle analyse en virtuose GAMBERGE : «La gamberge fait voir ensemble les gambettes et les berges, la marche et la dérive, une méditation qui se promène, un flux qui vagabonde.»
«Dans MÉNAGÈRE, il y a mégère», note Paul Guimard.
Thierry Laget craque pour TIGRE, lequel «contient autant de félins que le mot "rose" diffuse de parfums, et nous le voyons progresser sous le couvert des arbres, dans notre jungle intime, souple, mesuré, prêt à bondir.»
Olivier Rolin, lui, se penche sur la GIROLLE :
«On la nomme aussi chanterelle. Les deux vocables, nés sans doute d'une lente germination de spores verbaux dans l'humus forestier, appellent des idées plaisamment féminines et agrestes de chanteuses girondes et de tourterelles, de farandoles où s'épanouissent sous les girandoles les corolles des jupes.» O. Rolin
Et voici GIBOYEUX goûté par Jean-Paul Kauffmann :
«Un mot que j'adore : la labiale sonore du b et la diphtongue rendent bien l'idée de profusion — "l'odeur est restée dans le mot", dirait Bachelard.»
Ajoutons que ce mot-là déborde d'échos : on entend le gibier dans les bois et les abois des chiens — tout cela joyeux (du point de vue du chasseur). Le [i] et la diphtongue l'éclairent, le [oi] au milieu est sombre. GIBOYEUX, avec ses ombres et ses lumières, nous emmène un jour d'été dans les sous-bois.
«De tous les mots / C'est lui le soleil», dit la clairvoyante Ariane Dreyfus.
Quel est ce mot à la force inouïe, qui tant nous réjouit ?
Mais OUI !