Nietzsche s'étant lourdement gouré en annonçant la mort de Dieu, plus increvable que jamais ces temps-ci, et mes compatriotes s'apprêtant à choisir comme président un homme notoirement dévot (ou du moins feignant de l'être), il est grand temps de suivre sagement le troupeau et de rendre hommage aux mots de la religion.
DIEU
A-t-on seulement le droit de le (pardon : Le) nommer ? Certaines religions y voient un blasphème : nommer, c'est déjà trop s'approcher de l'Inaccessible, c'est limiter l'illimité. S'il Lui faut vraiment un nom, qu'il soit le plus court possible. DIEU, c'est parfait. Un monosyllabe, comme pour tout ce qui est élémentaire, essentiel. Une seule consonne aussitôt huilée par le yod et déjà la bouche s'ouvre extatiquement sur une belle finale, ce [eu] rimant avec le bleu du ciel infini, avec les bienheureux qui entourent le Vieux.
À moins qu'on ne soit furieux, auquel cas DIEU, aussi à l'aise dans le juron que dans la prière, imite avec maestria le bruit (tieu !) du crachat.
JÉSUS
En anglais, quelle pêche il a, propulsé par son [dj] initial, planant [iii] sur sa première voyelle ! Moins un nom qu'une interjection, un appel, un cri d'amour !
En espagnol, quelle mâle rudesse, avec sa première consonne sortie toute raclante du fond de la gorge, son [ou] final brûlant, le sifflement de son [s] !
En français, la cata. [jézu], bercé par le bourdonnement ténu de ses deux consonnes, évoque un personnage mollasson, sulpicien, limite efféminé. Notre langue a fait du fils de Dieu un blondinet à sa maman.
CHRIST rachète en partie JÉSUS. Là au moins, les frottements de consonnes produisent de l'énergie. Attention, mot à deux visages : on doit dire tantôt [cri], dans Jésus-Christ (encore un coup de JÉSUS, qui ramollit tout ce qu'il touche), tantôt [crist] quand CHRIST vient tout seul. Normal, au fond, s'agissant d'un personnage double, humain et divin.
Il convient évidemment de prononcer CHRIST en entier, tout barbelé de consonnes, si l'on veut qu'apparaisse la couronne d'épines, rendant la scène tout à fait triste.
VIERGE
Ça ne s'arrange pas... Pour ne rien dire de cette fixation hautement suspecte des cathos sur la virginité du personnage, dont on devrait se contrefoutre, VIERGE traîne avec lui toute une série d'échos malencontreux, vit, verge, viol, comme un retour sournois du refoulé. Les puritains ne sont-ils pas les pires obsédés sexuels ?
Non contents de condamner la pauvre à l'abstinence, ces obsédés de théologiens ont également privé sa mère d'un plaisir légitime. Ai-je l'esprit mal tourné, suis-je le seul à entendre, dans IMMACULÉE Conception, que celle-ci s'est faite, ô miracle, par un orifice voué à d'autres fonctions ?
PONTIFE
Pontifex, disaient les Latins, accrochant au mot une finale éclatante. Le français, lui, le fait mourir sur une syllabe épuisée, dessinant l'image d'un vieux pape traînant les pieds, flapi, pff, ne débitant plus que des poncifs.
ÉVÊQUE
Dignement couronné de sa mitre circonflexe, pas très tonique non plus, on sent qu'il ne se tue pas à la tâche. Le PRÊTRE est lui aussi coiffé de sa petite calotte, mais derrière un équilibre et une sérénité de façade, des nœuds de consonnes, des torsions de la langue suggèrent les tourments cachés au fond de son être. Mot dur à prononcer — comme des vœux —, âpre comme un sacerdoce. Pas simple d'être toujours prêt...
CURÉ
Encore une horreur, ce mot... N'insistons pas.
DIACRE
Ça ne s'arrange pas. On dirait une injure ou un juron, un début de diable maladroitement dissimulé par une fin âcre.
BEDEAU
Benêt bedonnant.
CONFESSE
Trahit, avec une naïveté quasi indécente, la préoccupation obsessionnelle de celui qui écoute.
Allons-nous rester sur ce chapelet de mots calamiteux ?
ÉVANGILE, lui, je l'aime. Il a, comme il convient, la douceur d'un baume. Un ange parle en lui. On le lit dans la nuit, vigilant, à la lueur d'une lampe à huile.
PÉCHÉ aussi, je le chéris. Je ne connais pas de mot plus voluptueusement catholique. Il rappelle cette façon de dire le latin à l'église naguère, chuintante et grasse, [sou chipé] pour «suscipe». PÉCHÉ nous chuchote que le fruit défendu est une pêche délicieuse à lécher, et qu'il n'y a de péché que mignon.