INVENTEURS DE MOTS


Comment les appelle-t-on, ces gens qui ont pour métier d'inventer des noms ? J'ai envie de les rencontrer, les interroger. Comment choisit-on, par exemple, le nom d'un nouveau médicament ? Certains sont intelligibles, plus ou moins : Vitascorbol, c'est de la vitamine C, autrement dit de l'acide ascorbique ; Efferalgan, c'est effervescent et ça soigne la douleur,-algos en grec (cf. névralgie) ; Préviscan, ce fluidifiant que je prends désormais pour pré-venir la visc-osité de mon sang, porte sa fonction sur sa figure. Oui, mais le suffixe ? Pourquoi pas Vitascorbine ou Vitascorbex, chers collègues?

Ils ne me répondront pas, top secret, enjeux financiers trop énormes, et je vais devoir supputer tout seul.

Une première piste, assez simplette, pourrait être l'opposition masculin / féminin. Vitascorbol, censé donner de l'énergie, s'agrémente logiquement d'une terminaison masculine, donc plus dure, alors que le féminin conviendrait mieux aux calmants, aux anti-douleurs. Témoins Aspirine (un peu acide il est vrai avec ses [i]stridents), ou cette merveille de douceur, ce baume entre les baumes, la pommade Homéoplasmine, ou sa cousine Climarôme, d'une douceur non moins maternelle car elle aussi pourvue de deux [m] ; son arôme à base de plantes nettoie les voies respiratoires, mais il suffit de dire son nom pour se sentir mieux.

La finale en -um, qui renvoie au latin, a un côté sérieux, voire sévère, propre à donner confiance. À partir de là, on peut jouer sur la simplicité, alliée à des sonorités douces, type Valium, ou au contraire, théâtralement, comme dans Oscillococcinum par exemple, sur une longueur et une complexité spectaculaires, pleines d'échos énigmatiques — ce qu'on pourrait appeler l'effet abracadabra. Prozac, pourtant fait pour apaiser, préfère jouer sur son côté actif, conquérant, avec son attaque ronflante et sa finale qui claque. Optalidon, lui, qui fut le seul à vaincre les migraines de ma mère, se promène entre force et douceur avec sa finale un tantinet antique elle aussi, aux sonorités un peu sourdes, pouvant évoquer au choix le vaillant myrmidon ou le mol édredon. Doliprane lui ressemble un peu par son alliance de force et de douceur, et aussi par son étymologie indéchiffrable qui le rend agréablement mystérieux.

Tous ces noms ne sont pas des réussites... Si Xyzall combat les allergies comme on le devine, le fringant Zaldiar, qu'on croyait pourfendeur de diarrhées (il y a souvent du Zorro dans le Z), n'est qu'un banal antalgique. Que dire de l'horrible Gaviscon, préposé aux reflux gastro-œsophagiens ? La saloperie nommée Flixotide qu'on m'a prescrite l'autre jour contre une toux tenace, je l'ai appelé spontanément Flitoxide, soulignant son côté toxique, en souvenir du Fly-Tox, qui empoisonna champs et humains dans les années 50. Quant à Viagra, destiné suppose-t-on à des hommes vieux et gras, qu'il est mou ! Quelle débandade sonore !

Il faudrait parler aussi des noms de sociétés. On y trouve de sacrées réussites. Veolia, par exemple. Le directeur de l'agence qui a trouvé ce nom (ils se mettent à plusieurs) explique sur Internet combien la tâche était difficile : quel point commun trouver entre les activités de cette multinationale qui gère l'eau, mais aussi la propreté et les transports ? On a joué sur l'idée de services, en suggérant la rapidité, la légèreté, évoquée, dit notre homme, par la syllabe -eo, dont les voyelles sans consonnes planent sans le moindre lest. Avec -eol, on est même dans l'éolien, dans l'air, et en même temps dans une fluidité qui évoque l'eau. On ne peut pas faire plus coulant que Veolia, c'est presque too much — comme le sourire trop large de l'escroc qui s'apprête à vous plumer.

(Le nom de l'agence en question, Adwise, est à lui seul un chef-d'œuvre, combinant le verbe to advise (conseiller), le nom ad (publicité), l'adjectif wise (sage) et le suffixe adverbial -wise qui lui donne le sens de «concernant la publicité» !)

N'être pas dupe n'empêche pas d'admirer le talent de ces gars-là. Mais attention : la corporation est capable du pire comme du meilleur. Je reçois du Gaz de France une bafouille m'annonçant que «le groupe GDF SUEZ s'appelle désormais ENGIE». Pourquoi ce changement ? Je cite :

«Nous souhaitons avant tout nous rapprocher de vous avec un nom plus court, plus harmonieux, plus dynamique. Pour incarner cette simplicité nous avons imaginé ce nouveau nom, ENGIE. Dans ENGIE, il y a énergie bien sûr, mais aussi envie. Une envie sincère de vous accompagner pour une meilleure maîtrise de vos consommations etc.»

D'accord, on peut faire mieux que GDF SUEZ, avec sa malencontreuse injonction à transpirer. Mais peut-on faire pire que Engie ? Le citoyen lambda va-t-il spontanément prononcer ce nom [en'jii], à l'américaine, comme les gaziers l'espèrent ? J'admire leur optimisme ; quant à moi, j'ai lu [angie] et cela ne m'a rien évoqué, sinon peut-être «angine», ou «j'en chie». Énergie, envie ? «Énergie», qui en manque un peu avec sa finale qui retombe, n'est pas le plus harmonieux et dynamique de la langue (à moins de le doper en l'écrivant NRJ, comme d'autres l'ont astucieusement fait), et si on l'abrège, comme on est prié de le faire, on semble trop épuisé pour bien le prononcer. Quant à croire qu'on va entendre «envie», c'est carrément burlesque.

Bref, un naufrage. Au lieu de mettre les gaz, tout se dégonfle. Je me dis que les rigolos qui ont pondu cette merde molle en quelques heures ont dû recevoir en paiement autant que moi pour traduire six cents pages en six mois. Certes, mais moi au moins je n'ai pas à rougir de mon travail.



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