UN BON TITRE


Une de mes amies, lectrice acharnée, m'annonce qu'elle vient de lire un roman épatant d'Oya Baydar, traduit du turc par Valérie Gay-Askoy aux éditions Phébus.

Une seule réserve : elle est un peu gênée par le titre : Et ne reste que des cendres. «J'aurais apprécié, écrit-elle, une 3ème personne du pluriel (comme pour le film de Jean-Pierre Lledo Ne restent dans l'oued que ses galets). Pourquoi pas Et ne restent que des cendres ou encore mieux Ne restent que des cendres

Le titre officiel est fautif, aucun doute : il contient une faute d'accord, verbe au singulier, sujet au pluriel, que seule justifie l'élision d'un «il» : «il ne reste...» Et ne restent que des cendres serait plus logique, plus correct, plus conforme à ce que j'appelle le français d'éditeur. Je n'évoque jamais cette langue lisse et académique sans ricaner, j'ai tort : c'est un outil nécessaire parfois, lorsque par exemple on traduit un texte écrit (pardon : rédigé) dans une langue châtiée. La question est donc : de quelle sorte de livre s'agit-il, et comment est-il écrit ?

Je n'en sais rien, mais si l'on en juge par le climat que ce titre à lui seul suggère, il me semble que le verbe au singulier se défend : d'abord, le pluriel ferait plus riche, alors qu'ici on est dans la raréfaction, le presque rien ; ensuite, une syntaxe légèrement relâchée convient mieux pour dire que tout se défait, comme si la syntaxe elle-même tombait ici en cendres.

(Alors pourquoi, dans Ne restent dans l'oued que ses galets, le verbe au pluriel me gêne-t-il si peu, au point que je le préfère ? Je ne vois qu'une explication : les galets se comptent, alors que des cendres, c'est de la cendre.)

Autre question : le «et» initial dans le titre du roman turc est-il vraiment nécessaire, ne devrait-il pas sauter ?

Ne restent que des cendres, bref, dense, solidement rythmé avec ses six syllabes, est sans conteste plus nerveux, plus frappant. Le «et», c'est du rembourrage, se dit-on, du superflu. Sauf qu'à la réflexion il joue un rôle non négligeable : il suggère un avant-texte, une histoire qu'on ignore, chargeant du même coup ce titre de mystère et de poésie ; quant au rythme de sept syllabes qu'il implique, moins carré, plus lent, il convient mieux à la mélancolie de l'atmosphère.

Bref, il me paraît très bien, ce titre.

Qui l'a trouvé : le traducteur ou l'éditeur ? Comment savoir ? Dans les petites maisons, on a tendance à écouter le traducteur ; dans les grosses, les commerciaux ont leur mot à dire, et ils s'en privent rarement, hélas. Dans le cas présent, on peut tout imaginer : que la traductrice — excellente paraît-il — a vu sa trouvaille acceptée ; ou que la trouvaille est celle de l'éditeur — car il en existe encore de très bons, qui aiment lire et savent écrire, à côté de margoulins qui ont tout appris dans les écoles de commerce...



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