MOTS CATHOLIQUES


ÂME.

«En français, âme sonne étrangement égyptien ou hébreu : un souffle de Pentecôte.» C'est Carlos Batista qui le dit. Dans ÂME, j'entends aussi le «aoum» du bouddhisme tibétain, alors qu'en même temps le mot reste parfaitement français, avec l'élévation du circonflexe, puis la retombée moelleuse sur le tapis du m et enfin de l'e muet, ce soupir très doux. Rien qui dépasse, rien qui accroche, toute âme est une belle âme, voilà un mot admirablement catholique : feutré, suave, un peu mielleux.


PSAUME.

Dans le [ps] du début, on peut déceler l'ombre d'une origine lointaine, là aussi, pourquoi pas grecque, avant que la suite ramène la langue française et l'harmonie tranquille. Ferveur des paumes jointes, douceur de baume à nos oreilles, long point d'orgue résonnant sous le dôme, comme il paraît proche, Seigneur, ton royaume...


PAPE.

Papa raccourci, au bord du bégaiement, à peine commencé que déjà à bout de souffle. Mot dépourvu de toute grandeur, complètement loupé. (Pourtant, être pape, c'est pas peu...)


PONTIFE.

Voilà qui sonne mieux. Posé, pompeux, PONTIFE avance avec lenteur, un peu fatigué à la fin lui aussi peut-être, manquant d'énergie, de fraîcheur, proférant ses poncifs.


PRÊTRE.

Hiérarchiquement inférieur, mais plus imposant que le précédent sous la calotte du circonflexe, dans la belle symétrie des R sonores qui l'encadrent, penchant juste un peu — à droite, on s'en doutait.

L'intérieur, lui, [prr... trr...], est noué, tordu, le cœur broyé — à moins que ce ne soient ses vieux genoux qui craquent ? PRÊTRE est dur à prononcer, comme des vœux. (Guère facile d'être toujours prêt.)

Pour qui a fait vœu de pauvreté, quel mot riche ! Trop peut-être : on lui préfère souvent le lamentable


CURÉ.

Avoir «Cul» dans son nom n'est jamais un cadeau. Se retrouver en participe passé passif non plus. Quant à être associé au nettoyage de l'étang, de la citerne ou du nez... Pauvre personnage, triplement humilié. Où qu'il soit, il sent toujours un peu la campagne boueuse et le corps honteux.


PÉCHÉ.

Rien de tragique, de diabolique, mais la clarté des [é], le [ch] fondant, voluptueux. La pêche, fruits et poissons. La bonne chère qui charme la chair, les babines léchées. Mot grassouillet comme un chanoine. La gourmandise, péché catho par excellence, péché mignon.


VICE.

Plus méchant, celui-là. Et jouissivement expressif, à la fois visqueux et lubrifié. Délices de la peau lisse, une main glisse, le vit se visse.


LICENCIEUX.

Autre réussite. François Thibaux évoque, prononcé par des nonnes, cet «adjectif qu'elles employaient dix fois par jour et dont le sifflement de serpent me donnait la chair de poule...»

Lit sans cieux : couche impure du pécheur voué à l'enfer.


NONNE

Féminin de «non». La nonne dit non aux joies du monde. Elle ne vit que pour son amant céleste et les prières à lui dédiées, qu'elle ânonne.


VIERGE

Suspecte, cette obsession de la virginité... Suis-je le seul à deviner, derrière VIERGE, la verge qui pointe, ou ce début de viol au début ? Un mot d'obsédés sexuels. D'accord, il y a aussi les cierges, mais Dieu sait ce qu'une femme peut faire avec. Et comme il est vilain, ce mot-là, comme il se tord et se tortille dans la bouche comme le mensonge au lieu de se dérouler, simple et droit comme la vérité... Marie l'était-elle, vierge ? Hum.


IMMACULÉ.

Encore une horreur. Chaque fois qu'on évoque l'Immaculée Conception, cette invention ridicule, c'est plus fort que moi, désolé : j'entends «Y m'a enculée...»


JÉSUS.

Ce n'est évidemment pas la version originale. Chaque langue a adapté ce nom à sa façon, révélant du même coup un peu de son âme. Le [Rézouss] espagnol est plutôt âpre, le [Djiiizeus] des Anglo-Saxons, exclamatoire, semble fait exprès pour cracher un juron. Notre [Jézu], à côté, avec la douceur sucrée de ses consonnes et sa finale émasculée, a des allures de benêt sulpicien. [j], [z], bourdonnements d'abeille, on est encore en train de nous emmieller.


ÉVANGILE.

Dans une BD de mon enfance, un adolescent d'autrefois lit un grand livre à la lueur d'une bougie (d'une lampe à huile ?). Il murmure : «Ce latin de Virgile, quelle merveille !» Je ne savais pas alors qui était cet écrivain quasi divin. J'aime ÉVANGILE à cause de cette scène ancienne, de sa rime avec Virgile, avec l'huile, avec la vigile qui a d'abord pour moi son sens ancien de service religieux du soir. L'évangile, livre ancien, précieux, je l'imaginerai toujours lu tard dans la nuit par un lecteur fervent, vigilant, éclairé par une lueur fragile.



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