MOUVEMENTS DE VOYELLES


La possibilité d'une île.

Dans ce titre, l'île en question est deux fois présente : d'abord, au cœur du mot «possibilité», noyée dans d'autres sons ; noyée, mais déjà en position privilégiée, au beau milieu, encadrée par deux [i] symétriques, dans une espèce de piétinement, i, i, i, comme si quelque chose luttait avec insistance pour émerger ; et enfin la voici, toute seule, enfin couronnée de son circonflexe, en pleine gloire — le possible devenu réalité.

Un sacré titre ! Peut-être ce que Houellebecq a écrit de mieux. Cela m'a presque donné envie de lire le livre.


«Nourri dans le sérail, j'en connais les détours.»

Racine, dans Bajazet.

Le personnage principal de ce vers célèbre, c'est [our]. On démarre avec lui, on passe par les tours et détours d'autres sonorités en grand nombre, petit labyrinthe sonore (six sons vocaliques différents sur huit syllabes) et l'on se retrouve au point de départ, le vers dessinant un mouvement complexe avec retour au début : on connaît les lieux, on ne pouvait pas se perdre, on maîtrise la question.


«Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.»

Baudelaire, dernier vers de «L'albatros».

Dans ce dernier quatrain, toutes les rimes sont en [é] : on entend ainsi le piétinement de l'oiseau, qui tourne en rond, qui n'avance pas.

Dans le dernier vers, les voyelles sont disposées ainsi : [é], [è], [ǝ X2], [an] / [an], [è], [ǝ X2], [é]. Mouvement contraire, montée puis redescente (envol raté), ouverture puis fermeture (les ailes se replient).

Les consonnes viennent à la rescousse. Dans le premier hémistiche, douces et peu nombreuses, elles s'effacent, tout s'allège, on s'élance ; dans le second, elles sont plus nombreuses, plus sonores, plus répétées (le [ch]), le plus rude, [rch], venant à la fin : ça racle, c'est lourd.


«À présent, lampe soufflée,

main plus errante, qui tremble,

je recommence lentement dans l'air.»

Philippe Jaccottet.

[an] omniprésent revient sept fois (2+2+3) en trois vers : vibration légère, lueur tremblotante, insistante, recherche tâtonnante, doucement obstinée.

Différence capitale : le son obsédant, ici, s'efface à la fin. Dans ce souterrain étouffant, in extremis, une bouffée d'air. Les sons, à eux seuls, suggèrent une faible lueur d'espoir.



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