CONCOCTEURS DE CACOPHONIES


On en trouve de belles dans les traductions. Et dans les livres de nos auteurs donc. Même les meilleurs. Chaque fois qu'un pataquès choque mon tympan, je note, avec un mélange d'abattement (on voudrait que tout soit bien fait, que tout soit beau) et de jubilation mauvaise (on est rassuré de voir qu'on n'est pas le pire de tous).


«Il y avait dans ce pays deux frères qui étaient fils d'un homme pauvre et qui se présentèrent pour tenter leur chance. L'aîné, qui était rusé et intelligent...»

Cette répétition lourdingue vient d'une traduction qu'un jury auquel j'appartenais prima. La honte.


Des «cheveux longs, aussi fins que de l'or que l'on aurait filé». (traduction)

Que de que ! Qu'ils sont durs, anguleux, alors qu'il eût fallu être doux et fluide...


«Dessiné dans l'air d'un unique coup de pinceau.» (traduction)

Non seulement le [k, k] est rude à l'oreille, mais il casse l'élan du coup de pinceau (qui cesse donc d'être unique), en laissant un gros vilain pâté au milieu de la feuille.


«...nous roulions sur le sol, embrassés, emportés par le souffle génésique qui nous exaltait.» (traduction)

[zikeki] ! Faudrait que ça roule, glisse et coule, et voilà que ça cogne, que ça frotte, que ça coince... Quel coït calamiteux !


La cacophonie est plus gênante encore dans les dialogues, où les répliques sont censées être coulantes et percutantes.

«— Tu ne t'en tireras pas comme ça !» (traduction)

[teuteuteureureu]...

«— J'ai été malade une fois. — Qu'as-tu eu ?» (traduction)

[huhu]...

A-t-on dit son texte à haute voix avant de l'écrire ?


Liaisons hasardeuses :

«De nombreuses années plus tard.»

Là, passe encore. Mais là, je dis non :

«De solides et imposants entrepôts.»

[pozanhan] ? Aïe.

[pozanzan] ? Pire encore. Il nous faut du costaud, du net, et non ce zézaiement mollasson.


Et voilà ce que je trouve chez des écrivains que je révère :

«Nous nous nommâmes». (Claude Mauriac)

«...mais en étant en même temps...» (Jean-Christophe Bailly)

«Si opaque qu'ait été mon origine...» (bon romancier contemporain)

«...peut-être que nous ne nous séparerons pas...» (Emmanuel Carrère)

«Mais est-ce ce qui importe ?» (J.B. Pontalis)

«S'en sentit-il coupable ?» (id.)


L'une des oreilles les plus fines de la poésie française, Paul Valéry, traduisant les Bucoliques de Virgile, écrit : «Je le ferai devant ton dédain de mes dons», vers qui me paraît limite, avec son petit côté débit de lait débit de l'eau. Mais peut-être est-ce voulu ? Avec lui, on ne sait jamais.


«Un sourire ironique»

Il me gêne, ce [irir]. Mais me voilà pris d'un doute. Exagéré-je ? On pourrait voir un rien de moquerie dans cette sonorité comique, même si pour ma part je voudrais insister sur la finesse, l'élégance du sourire, qui doit passer vite et sans accroc.



La cacophonie en soi n'est pas toujours mauvaise. Il faut seulement qu'elle soit justifiée.

«Un grand linge qui claque comme un fantôme» (Valérie Rouzeau)

Les trois [k] sont les claquements répétés du linge.


«Ô Châteauroux, ville la plus laide de France...»

[l-l, d-d] Bien laid, en effet — comme la ville. Giraudoux l'a sûrement fait exprès.


Dans un même poème traduit :

«Un coup a atteint la pierre».

Pas d'accord avec ce [a-a] : il faut que le coup aille droit au but.

«l'arbre a abattu l'ombre...»

Là, oui, j'aime ce [a-a] qui fait sentir un ahanement d'effort.


«[Il] avait parcouru à bicyclette tous ces kilomètres pour venir passer quelques jours avec moi.»

Pas terrible à première vue, ce [clètetou ] où la langue bute. Si on voulait exprimer la fougue, l'élan irrésistible du cycliste amoureux, c'est raté. La phrase filerait plus vite aevc une simple inversion :

«...tous ces kilomètres à bicyclette pour...»

Mais le traducteur n'a-t-il pas choisi de faire sentir combien le voyage fut rude ?



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