OÙ L'ON RÉENTEND [AN]


«C'est une caste, c'est une secte, c'est une société secrète... leurs mots sifflent, le lacèrent... On les voit toujours rassemblés, qui s'assemble se ressemble...»

«Les mots sifflent» : Nathalie Sarraute, dans Vous les entendez, ne se contente pas de recourir à l'allitération, elle nous la montre du doigt, faisant elle-même son explication de texte. Cette personne qu'elle cite, cette langue de serpent, irascible, obsédée, ne siffle pas seulement ses [s], elle insiste aussi sur le mot «rassemble», faisant trois fois, dont une à la place d'honneur finale, entendre [an].

Elle l'adore, [an], elle le reprend souvent. Dans Vous les entendez ? toujours :

«...elle a eu l'insolence, savourant par avance sa rage impuissante...»

Là encore, beaucoup de [s], qui par deux fois se frottent avec violence — signe de colère. Et quatre [an], tous accentués, exprimant le contentement de l'autre personnage, ruminant son bonheur comme un bonbon qu'on roule dans la bouche.

Sarraute encore, dans le même roman :

«Sous la caresse de sa main tout en lui s'amollit, se détend, tous les plis sont repassés, toutes les cassures sont effacées... Il tient posé sur elle son regard qu'elle aime, son regard franc, son regard d'enfant confiant qui glisse, patine sur son visage rose légèrement fardé, sur ses lèvres discrètement teintées, sur ses cheveux où les fils d'or se mêlent aux fils d'argent, sur ses mains qui reposent tranquillement sur ses genoux...

Dispositif plus complexe : la répétition passe d'un son vocalique à l'autre, mais toujours par groupes de deux, [i], puis [é], puis [an], puis [i], puis [é], puis [an], mélange de variation et de répétition : plusieurs plis mais un seul et même geste, plusieurs parties du corps mais un seul regard, caresse insistante mais en même temps légère et discrète, qui à la fin s'efface, cédant la fin de phrase à un autre son.

Même chose chez Jean-Paul Goux, dans Le séjour à Chenecé :

«...et d'attendre en guettant, en tremblant dans l'air glacial.»

[an] toujours, entêtant, enivrant, sa répétition marquant la longueur de l'attente, l'idée fixe du personnage, le piétinement de sa pensée et de ses pieds dans le froid. Lorsque la phrase à la fin passe du personnage à ce qui l'entoure, l'absence de [an] soudain crée un vide et jette un froid.

Guy Béart chante :

«Elle allait au Louvre avec Philippe / toujours en vertu des grands principes / et faisait la foire avec Armand / en vertu des grands sentiments...»

Après le [i] des grands principes — son clair, haut perché —, les plaisirs de la chair sont évoqués par des [a] et des [an] pesants, vibrants, récurrents.

«Les dents s'amusent dedans.», écrit Michel Vinaver.

On mâche et remâche. Et surtout on s'amuse, en effet. Il suffit de forcer un peu la note en ajoutant une consonne commune avant [an], [dan, dan], au bord du calembour. Car la répétition, cela peut être envoûtant, voire accablant, mais c'est aussi toujours, peut-être, potentiellement marrant.



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