ÇA GROUILLE CHEZ BOREL


Arrivé au bout de L'adoration de Jacques Borel !

600 pages compactes. À la parution du livre (j'avais dix-sept ans) je m'étais dégonflé. Aujourd'hui, évidemment, je n'ai pas tout lu : de plus en plus, à mesure que j'avançais, je sautais les longueurs, les redites, les banalités, me fiant aux résumés de quelques mots placés en haut de chaque page par un auteur prévoyant. Sans doute y a-t-il ainsi des livres où l'on ne doit pas tout ingurgiter ligne à ligne, mais se laisser envahir globalement par un grouillement monstrueux. Elaguée, ramenée à 200 pages, L'adoration deviendrait svelte et vive et perdrait du même coup ce qui fait sa force : le débordant, le lancinant, toute cette folie.

Ce qui m'a empêché d'adhérer au livre, c'est moins cette incontinence nécessaire qu'un autre aspect, non moins pathologique : l'acharnement du héros contre lui-même. Un faible ce garçon, un nul, qui tout du long nous apparaît odieux. Or à trop se noircir on cesse d'être crédible ; plus grave encore, on chasse le lecteur, lequel, faute de vouloir s'identifier à un si lamentable narrateur, ne sait plus où s'asseoir dans l'œuvre. Voilà ce qu'avait compris Proust, encombrante idole de Borel, dont on sent l'ombre sur toutes ces phrases étouffantes, et qui a su, lui au moins, placer le sien à juste distance, aimable autant que haïssable (ou plutôt ni l'un, ni l'autre) et nous détourner ainsi de le juger pour nous proposer des tâches plus essentielles.

Moralité : quand on parle de soi, montrer de temps à autre un bon côté. On finit toujours par en trouver.


(Journal infime, 2001)



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°15 en novembre 2004)