COMME AVANT LES VOITURES


Jamais venu dans cet étroit quartier de Suresnes, sur le coteau entre hôpital Foch et Défense, au-dessus des voies du train et du tram. L'explorateur n'aura jamais fini. Midi. Rues calmes, pavillons. Petits immeubles d'avant-guerre autour d'une ébauche de place avec épicerie, boulangerie et café. On croirait un vieux film. Des entrepôts côtoient des jardins. Dans un enclos juste assez grand pour elles, deux Simca rouillent tranquillement — il y a là un sage qui connaît le bon usage des bagnoles. Le lycée paisible où je viens faire passer le bac, vidé de ses élèves, brique rouge des années 20, couloirs aux boiseries désuètes, a lui aussi un air de Belle au bois dormant. Plus bas, à flanc de coteau, une longue impasse longeant la voie ferrée ; Paris à nos pieds, en partie voilé par les arbres ; les tours de la Défense, là-bas, ne s'approchent pas trop, juste assez pour jeter l'ombre d'une menace, de celles qui rendent plus douillet l'abri. On marche sur la chaussée comme au temps d'avant les voitures, sous un ciel de début d'été, immensément bleu, qui ramène d'autres ciels d'autres époques, le bonheur comme eux étant si proche qu'on croirait pouvoir le toucher.


(Journal infime, 2001)



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(publié dans PAGES D'ÉCRITURE N°15 en novembre 2004)