Michelle Barbe

(1950-2024)



IV


Assise sur le seuil elle peignait ses cheveux.

Devant elle un oiseau tenait le miroir.

Des roses rouges et blanches lui parlaient.

Les sansonnets la taquinaient dans le pêcher.

Et elle se peignait tout le temps et chantait :


«Folie, folle folie, folle folie, folie.»

Et le jardin de ses mille fleurs l'embrassait.




VIII


Il a dit : dans la nuit j'allumerai sept feux,

à tes cheveux j'attacherai sept rivières,

je resterai sans chanter set semaines.

Je garderai le cheval blanc, lui seul

que brille le vent de verre et de lumière.


Il est parti à cheval le samedi

est revenu marié à un nuage.

Le dimanche, les pommes ont rougi.




XII


Ils m'ont si bien encerclé

les petits pommiers moqueurs,

que je ne vois plus le bord de l'eau,

je ne vois plus les bateaux,

il y a seulement derrière les arbres

l'eau qui joue de mille éclats

et m'étourdit, ô mon amour,

et le petit aux pommes acides

me prend mes yeux, mes mots,

m'oppresse et me lapide

de tous ses rouges, ses verts

et de toutes ses couleurs d'or.




XXIV


Dans la vigne,

mille petits poings,

tout au fond

la grappe violette.


Pour le vin et pour le miel

c'est pareil il faut se battre

comme enragé, qu'ils deviennent

sucre sur la lèvre.




XXVII


Seul, seul,

et nu—

avec mes papiers sous les pierres,

mes habits aux branches des arbres.


J'ai pris pour clé

la petite lune d'or,

ouvert la grande forêt

et m'y suis endormi.


Bleus sont les rêves

et les arbres verts.




XXXIII


Sous les bras, entre les jambes

trois touffes de nuit

et ta sueur étincelle

étoiles dans la nuit.


Le drap, où s'incline

et bleuit la pâle nudité

parfumée,

quatre anges l'étendent — regarde —

par les quatre coins

sur la terre entière.


La fenêtre ouverte,

que je m'y jette.

Hirondelle, hirondelle,

qui me rattrape ?

Et je sui tombé du ciel

sur ton drap tendu.




XXXIV


Ils ont fermé la maison.

Jeté les clés dans le puits.

Amère et chaude, l'obscurité

et le jardin fidèle

aux branches croisées.


Les papillons, les abeilles

les oiseaux

se sont emparés

de la grande solitude.


Ils ont bu l'eau et mangé les épines,

mangé les fruits, les fleurs,

ils ont fait du miel, des couleurs,

ils ont fait aussi des chansons.


Dans le puits, les clés

ont libéré

l'eau mauve et profonde

le blanc silence

et le papillon noir.




Michelle Barbe, qui vient de nous quitter sans bruit, aura bien trop peu traduit. Son plus beau travail selon moi, c'est ce qu'on peut lire ci-dessus : les poèmes de Jeux du ciel et de l'eau, de Yànnis Rìtsos — son recueil que je préfère entre tous, publié aux éditions de l'Échoppe en 1990.

J'ai bien connu Michelle, précieuse amie, avec qui j'ai eu le bonheur de travailler. Je lui dis adieu dans les Brèves n° 254 de décembre 2024 et dans le Carnet du traducteur intitulé «Doubles Jeux».