IV
Assise sur le seuil elle peignait ses cheveux.
Devant elle un oiseau tenait le miroir.
Des roses rouges et blanches lui parlaient.
Les sansonnets la taquinaient dans le pêcher.
Et elle se peignait tout le temps et chantait :
«Folie, folle folie, folle folie, folie.»
Et le jardin de ses mille fleurs l'embrassait.
VIII
Il a dit : dans la nuit j'allumerai sept feux,
à tes cheveux j'attacherai sept rivières,
je resterai sans chanter set semaines.
Je garderai le cheval blanc, lui seul
que brille le vent de verre et de lumière.
Il est parti à cheval le samedi
est revenu marié à un nuage.
Le dimanche, les pommes ont rougi.
XII
Ils m'ont si bien encerclé
les petits pommiers moqueurs,
que je ne vois plus le bord de l'eau,
je ne vois plus les bateaux,
il y a seulement derrière les arbres
l'eau qui joue de mille éclats
et m'étourdit, ô mon amour,
et le petit aux pommes acides
me prend mes yeux, mes mots,
m'oppresse et me lapide
de tous ses rouges, ses verts
et de toutes ses couleurs d'or.
XXIV
Dans la vigne,
mille petits poings,
tout au fond
la grappe violette.
Pour le vin et pour le miel
c'est pareil il faut se battre
comme enragé, qu'ils deviennent
sucre sur la lèvre.
XXVII
Seul, seul,
et nu—
avec mes papiers sous les pierres,
mes habits aux branches des arbres.
J'ai pris pour clé
la petite lune d'or,
ouvert la grande forêt
et m'y suis endormi.
Bleus sont les rêves
et les arbres verts.
XXXIII
Sous les bras, entre les jambes
trois touffes de nuit
et ta sueur étincelle
étoiles dans la nuit.
Le drap, où s'incline
et bleuit la pâle nudité
parfumée,
quatre anges l'étendent — regarde —
par les quatre coins
sur la terre entière.
La fenêtre ouverte,
que je m'y jette.
Hirondelle, hirondelle,
qui me rattrape ?
Et je sui tombé du ciel
sur ton drap tendu.
XXXIV
Ils ont fermé la maison.
Jeté les clés dans le puits.
Amère et chaude, l'obscurité
et le jardin fidèle
aux branches croisées.
Les papillons, les abeilles
les oiseaux
se sont emparés
de la grande solitude.
Ils ont bu l'eau et mangé les épines,
mangé les fruits, les fleurs,
ils ont fait du miel, des couleurs,
ils ont fait aussi des chansons.
Dans le puits, les clés
ont libéré
l'eau mauve et profonde
le blanc silence
et le papillon noir.
Michelle Barbe, qui vient de nous quitter sans bruit, aura bien trop peu traduit. Son plus beau travail selon moi, c'est ce qu'on peut lire ci-dessus : les poèmes de Jeux du ciel et de l'eau, de Yànnis Rìtsos — son recueil que je préfère entre tous, publié aux éditions de l'Échoppe en 1990.
J'ai bien connu Michelle, précieuse amie, avec qui j'ai eu le bonheur de travailler. Je lui dis adieu dans les Brèves n° 254 de décembre 2024 et dans le Carnet du traducteur intitulé «Doubles Jeux».