La Panthère
Au Jardin des Plantes, Paris
Son regard à passer le long des barreaux
s'est tant fatigué qu'il ne fixe plus rien.
Pour elle, il y aurait par milliers des barreaux
et derrière des milliers de barreaux, de monde : point.
L'allure moelleuse des pas souples dans leur puissance
gravitant dans le cercle le plus petit
est comme autour d'un centre une force qui danse
en qui un vouloir vaste subsiste, étourdi.
De loin en loin seulement le rideau des pupilles
sans bruit s'élève –. Alors une image y pénètre,
parcourt des membres la tension tranquille –
pour, à son arrivée dans le cœur, cesser d'être.
Der Panther
Im Jardin des Plantes, Paris
Sein Blick ist vom Vorübergehn der Stäbe
so müd geworden, daß er nichts mehr hält.
Ihm ist, als ob es tausend Stäbe gäbe
und hinter tausend Stäben keine Welt.
Der weiche Gang geschmeidig starker Schritte,
der sich im allerkleinsten Kreise dreht,
ist wie ein Tanz von Kraft um eine Mitte,
in der betäubt ein großer Wille steht.
Nur manchmal schiebt der Vorhang der Pupille
sich lautlos auf –. Dann geht ein Bild hinein,
geht durch der Glieder angespannte Stille –
und hört im Herzen auf zu sein.
Rainer-Maria Rilke
Place des rétros
(Rondeaux sur les mélodies qui ont survécu à la Grande Peste)
1.
Versailles, Venise,
Toujours l'histoire,
Me rétrovise ?
Versailles, Venise,
Lueur jocrisse,
Salle aux miroirs
Versailles, Venise
Toujours l'histoire.
2.
On y peut voir
Tout ce qui est
L'âme, aube ou soir,
Ne s'y peut voir.
L'esprit s'y met
Sans un reflet :
On n'y peut voir
Que ce qui est.
3.
Il bâille au miroir,
Le Diable Mitré,
Et puis il repart.
Il bâille au miroir,
Ne tiens ce vieillard
Que pour une idée.
Il bâille au miroir
Le Diable Mitré.
4.
Le miroir poudroie.
Arrêt sur les voies.
Disons-le tout droit :
Le miroir poudroie.
(Las, c'est comme ça,
Et tout en est là).
Le miroir poudroie,
Arrêt sur les voies.
5.
Là, un papillon,
Repapillonna
Et un portillon
S'ouvrit tout du long
Là, un papillon,
Un fugace, en bas,
Se réfugia.
Là, un papillon
Repapillonna.
6.
Galerie des glaces,
Place des Rétros,
Devant moi auto,
Auto dans mon dos.
Prendras-tu ma place
Quand tu seras lasse,
Mourras-tu bientôt
Galerie des glaces,
Place des Rétros ?
István Kemény
Je te bénis de mon chagrin et de ma joie,
de tout ce que j'aime, je tremble pour toi
je te protège à paumes tendues :
avec les blés, avec les nues.
Ta foulée est un mélodieux écroulement,
et mon mur contre toi un constant croulement,
je me berce dans l'ombre de ses débris,
dans ton souffle je me tapis.
Que tu m'aimes ou non a peu d'importance,
qu'à mon cœur ou non ton cœur se mélange,
je te vois, je t'entends et te mets en chansons,
à Dieu c'est toi que je réponds.
à l'aube, le bois se libère,
déploie mille bras chaleureux,
cueille dans le ciel la lumière,
en couvre son cœur amoureux.
Attila József
Le chagrin ? Un vaste océan...
Le chagrin ? Un vaste océan
Et la joie ?
Sa menue perle, qu'en remontant,
Il est possible que je broie.
Sándor Petőfi
Guillaume Métayer est chercheur en littérature au CNRS, poète et traducteur de l'allemand, du hongrois et du slovène. Il porte les voix centre-européennes en français, tant de poètes contemporains, István Kemény, Aleš Šteger, Krisztina Tóth, Andreas Unterweger, que romantiques et modernes, Attila József, Ágnes Nemes Nagy, Sándor Petőfi ou encore les Poèmes complets de Friedrich Nietzsche et ceux d'Arthur Schopenhauer. Il est membre du comité de rédaction des revues Po&Sie et Place de la Sorbonne et a créé la collection "Centrale/ Poésie" à La rumeur libre éditions. Il est l'un des douze traducteurs invités dans Traduire en vers ? au Miel des anges.
On pourra comparer sa version de la Panthère rilkéenne avec celle de Jean-Luc Moreau.