El Choclo
Avec ce tango qu'est gouailleur, gouape et crâneur
les ambitions de mon faubourg ont pris des ailes.
Avec ce tango fut le tango et sa clameur
est montée du quartier sordide jusqu'au ciel.
Charme troublant d'un amour qui se fit cadence
s'ouvrit sa voie sans autre loi que l'espérance,
mêlant rage et absence et la foi, la douleur,
pleurant dans l'innocenc' d'un rythme rigoleur.
Dans le miracle de tes notes et leurs promesses
sont nées sans y penser les nanas, les gonzesses,
lune des flaques, déhanchement, caresses
et un désir brutal dans la façon d'aimer.
Si je t'évoque ô tango bien aimé
je sens trembler une guinguette sous mes pieds
et j'entends ronchonner tout mon passé.
A présent que ma mèr' s'en est allée
je la sens qui vient à pas de loup m'embrasser
lorsque ton chant monte au son du bandonéon.
Caracanfunfa1 a pris la mer sous ta bannière
dans un Pernod mêlé Paris à Buenos-Aires,
tu t'es fait parrain du tombeur, de la putain,
marraine même de la môme et tu rupin.
Par toi flambeuse, frime, clodo, taule et dèche,
se firent un nom en devenant ton aventure,
messe de jupes kérosèn', couteaux, blessures,
brûlant dans les taudis et brûlant dans mon cœur.
Paroles : Enrique Santos Discépolo (1947)
Musique : Ángel Villoldo
1 Nom d'un personnage de fantaisie inventé par Discépolo.
A media luz
En demi-jour
Corrientes 3, 4, 8, | Corrientes 3,4,8 | |
segundo piso, ascensor. | second étage ascenseur. | |
No hay porteros ni vecinos. | Aucun voisins ni concierge. | |
Adentro, cocktail y amor. | Dedans cocktail et liqueurs. | |
Pisito que puso Maple: | Décoration de chez Maple : | |
piano, estera y velador, | piano, tapis veilleuse et fleurs, | |
un telefón que contesta, | un téléphone qui sonne | |
una victrola que llora | un gramophone qui pleure | |
viejos tangos de mi flor | de vieux tangos de toujours | |
y un gato de porcelana | et un chat de porcelaine | |
pa' que no maulle al amor. | pour pas miauler à l'amour. | |
Y todo a media luz, | Et tout en demi-jour | |
que es un brujo el amor, | c'est un sorcier l'amour, | |
a media luz los besos, | demi-jour on s'embrasse, | |
a media luz los dos. | demi-jour face à face. | |
Y todo a media luz | Et tout en-demi jour | |
crepúsculo interior. | crépuscule d'abat-jours | |
¡Qué suave terciopelo | Qu'il est doux le velours | |
la media luz de amor! | du demi-jour d'amour! | |
Juncal 12, 24 | Juncal le 24 12. | |
Telefoneá sin temor. | Téléphone, n'aie pas peur. | |
De tarde, té con masitas; | La soirée, thé, petits fours; | |
de noche, tango y cantar. | la nuit tango et chanteurs. | |
Los domingos, tés danzantes; | Les dimanches, les thés dansants | |
los lunes, desolación, | les lundis, désolation. | |
Hay de todo en la casita: | Y a de tout dans la maison : | |
almohadones y divanes; | des coussins et des divans, | |
come en botica, cocó; | la coco y'en a toujours; | |
alfombras que no hacen ruido | des tapis pleins de silence | |
y mesa puesta al amor. | et la table pour l'amour. |
Musique : Edgardo Donato Letra — Carlos Lenzi (1924)
La gloire
T'es rempli d'pognon, t'es un grand monsieur
mais ça marche pas avec moi mon vieux
avec ton amour et tes faux serments,
va donc voir ailleurs, là tu perds ton temps.
Depuis le début moi j'ai deviné
que c'que tu voulais c'était m'acheter
mais tu sais j'ai un sacré pedigree
à une autre port' vas-t'en donc frapper!
Mon p'tit vieux, salut, tu peux déguerpir!
ma jeuness' n'est pas fleur à boutonnière;
toute cette gloir' que tu viens m'offrir
garde-la plutôt pour une autr' rombière.
'L'a pas d' cann' mon mec, c'est pas un rupin
mais tu dois savoir que d'cœur il est plein;
je sais bien que j'suis tout entière à lui
y a qu'un' gloir' toujours c'est cell' de l'amour.
Je n'veux ni champagne ni bamboula
ni vivre en hôtel dit particulier,
et à la voitur' que tu m'offres là
je préfèr' l'auto que je vais louer.
Je vais te donner un conseil d'ami,
pour mettre un point à la conversation:
achèt'-toi un peigne et fais-toi sortir
un' bonn' fois l'idée de ton bourrichon.
Armando J. Tagini
Le p'tit Portègne
El Porteñito
Soy hijo de Buenos Aires,
por apodo "El porteñito",
el criollo más compadrito
que en esta tierra nació.
Cuando un tango en la vigüela
rasguea algún compañero
no hay nadie en el mundo entero
que baile mejor que yo.
No hay ninguno que me iguale
para enamorar mujeres,
puro hablar de pareceres,
puro filo y nada más.
Y al hacerle la encarada
la fileo de cuerpo entero
asegurando el puchero
con el vento que dará.
Soy el terror del malevaje
cuando en un baile me meto,
porque a ninguno respeto
de los que hay en la reunión.
Y si alguno se retoba
y viene haciéndose el guapo
lo mando de un castañazo
a buscar quien lo engrupió.
Cuando el vento ya escasea
le formo un cuento a mi china
que es la paica más ladina
que pisó el barrio del sur.
Y como caído del cielo
entra el níquel al bolsillo
y al compás de un organillo
bailo el tango a su "salú".
Je suis un fils de Buenos Aires
j'ai pour surnom le p'tit Portègne
le mec du coin le plus balèze
qu'on a vu naîtr' sur cette terre
Quand sur sa guitare vient râcler
un bon tango un d'mes copains
dans l'monde entier y'en a pas un
qui mieux que moi sache danser.
Y'en a aucun pour m'égaler
pour venir tomber les nénettes,
pur baratin, de la gonflette,
de purs bobards et c'est plié.
En lui faisant joli minois
jusqu'au trognon je l'entortille
et la marmite je f'rai bouillir
avec le fric qu'elle donnera.
Je suis la terreur des voyous
lorsque dans un bal j'apparais
puisque je n'ai aucun respect
de tous ceux qui sont tout autour.
Si y'en a un qu'est pas content
et qui cherche à fair' le malin
moi je lui flanque un sacré pain
et le renvoie chez sa maman
Quand le pognon il n'y'en a plus
je baratine ma copine
c'est la môme la plus maline
qu'au quartier sud on ait connue.
Alors le pèse de là-haut
dans ma poche tombe tout cuit
et sur un orgu' de Barbarie
à sa santé j' dans' le tango.
Paroles et musique : Ángel Villoldo (1903)
Porteños : nom des habitants de Buenos Aires
Mam'selle Yvonne
Mam'selle Yvonne était une minette
qui dans l' chouette quartier du vieux Montmartre
avec son air de joyeuse grisette
faisait danser les fêtes des Quat'z Arts.
C'était la môme du Quartier Latin
qui sut aux vers des rimes inspirer...
Mais un jour est venu un Argentin
et la Français' s'est mise à soupirer.
Madame Yvonne,
la croix du sud fut comme un signe.
Madame Yvonne,
comme un signe de ton destin...
Grise hirondelle,
ta peine est mon chagrin,
ta douleur est de neige...
Madame Yvonne.
Voilà dix ans qu'elle est venue ici.
Mam'selle Yvonne, aujourd'hui c'est Madame,
et voyant tout resté loin au pays,
avec des yeux tristes boit du champagne...
C'est plus la môme du Quartier Latin,
c'est plus la bath petit' fleur de lys...
L'a tout perdu... y compris l'Argentin
qui, tango maté, l'a volée à Paris.
Paroles : Enrique Cadícamo
Musique : Eduardo Pereyra (1933)
Jacques Ancet, qui a fait cadeau de ces cinq tangos traduits par lui, est l'auteur d'une cinquantaine de livres (poèmes, romans, théâtre, essais). Il a traduit de nombreux poètes, et notamment Jean de la Croix, Francisco de Quevedo et Luis de Góngora. Il est l'un des douze grands poètes-versificateurs invités dans Traduire en vers ?