Maryse Delinot



Aryìris Hiònis est un excellent poète. Maryse Delinot a bien fait de traduire son recueil de 1974, Métamorphoses, dont voici le début, et de m'envoyer ensuite son travail. C'est sauf erreur sa première publication. Bienvenue et bon courage pour la suite !




A


Une goutte d'eau dans le creux de ma main

Je dois me hâter avant qu'elle ne s'évapore

De représenter la source du fleuve

La cascade et le fleuve lui-même

Et la mer et la pluie avec une goutte minuscule

Qui tremble et s'évapore dans le creux de ma main





B


J'étais un loup


Je vivais avec ma haine

Pour ma haine


La nuit je veillais

Méditant la mort

Des moutons


Je suis un chien


Je vis avec mon maître

Pour mon maître

Instrument de sa douceur et de sa fureur


La nuit je veille

Gardien de ses moutons


J'étais un fauve je suis un animal

Animal plus docile qu'un mouton

C'est pourquoi mon maître ne s'inquiète pas

Quand à la pleine lune parfois

Il m'entend hurler comme un loup


Il sait que dès le matin

Je vais de nouveau lui lécher la main





C


J'étais bras d'un grand fleuve

Ruisselet dans un jardin fleuri


J'ai dit j'arroserai mon jardin

Pour que des fruits s'attachent à ses fleurs

Et d'un seul coup je fus un grand fleuve

Et j'ai noyé le jardin


J'ai dit ça ne fait rien

J'arroserai désormais ma plaine entière

Et d'un seul coup je fus une mer

Et j'ai noyé la plaine


J'ai dit ça ne fait rien

Je nourrirai désormais mes poissons

Je ferai naviguer mes bateaux

Et d'un seul coup je fus un désert

Anéantissant poissons et bateaux


J'ai dit ça ne fait rien

Je serai désormais route pour mes caravanes


Depuis lors j'attends

Pas un chamelier ne m'a encore traversé





D


Avant j'étais un tout j'étais le rocher

J'avais mes arêtes mes courbes

Mes nerfs mes racines enfoncées dans la terre


Un jour tout à coup ce fut l'explosion

Qui m'a fait voler en éclats

En pierres innombrables ou plutôt

En une de ces pierres disparates

Que le casse-pierres encore plus tard

A déchiqueté encore une fois

En éclats encore plus petits


Je suis un caillou minuscule

Parmi d'autres cailloux innombrables


Déversés là dans ce moule nous sentons

La masse grise du ciment autour de nous

Qui se resserre qui se fige qui nous fond

En un seul nouveau bloc absurde





E


Long fut mon voyage depuis la source

Jusqu'à l'estuaire continuellement

Je roulais dans le profond du fleuve

Changeant peu à peu de forme tout en

M'allégeant et me voici là galet

Sur ce rivage


Et maintenant j'appartiens à la mer

Le voyage est devenu bercement

La vague m'emmène la vague me ramène

Je me retrouve toujours à la même place


Mon usure assurément suit son cours

Elle est même devenue plus rapide encore

Le jour approche où je ne serai plus

Qu'un grain de sable


Alors j'appartiendrai aussi un peu au vent



*  *  *